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Commercialisation bloquée de SATIVEX : les patients-experts SEP interpellent Marisol Touraine

Le SATIVEX (nabiximols, médicament à base d’extraits de cannabis) est prescrit et distribué dans 17 pays européens et d’autres pays du monde, comme le Canada. En France, il a obtenu son AMM en janvier 2014, avec pour indication "spasticité dans la sclérose en plaques après échec des autres thérapeutiques". La Haute Autorité de Santé a rendu un avis en octobre 2014 et préconisé un remboursement à 15 % dans cette indication.
 
Mais il n’est toujours pas commercialisé, en raison d'une absence d’accord entre le gouvernement et le laboratoire sur le prix de vente, selon le laboratoire Almirall.

Pourtant, ce médicament pourrait probablement aider une partie des patients terriblement gênés dans leur vie quotidienne par des contractures musculaires douloureuses ("spasticité") et non soulagées par les médicaments actuellement disponibles.
 
Exaspérés par le "blocage du gouvernement" persistant depuis plus d’un an sur ce dossier et sans motivations publiquement exprimées, malgré plusieurs relances du laboratoire et de députés, 8 patients-experts SEP (sclérose en plaques), de la Ligue française contre la SEP, publient une lettre ouverte à Marisol Touraine 1 pour lui demander de s’"entretenir de vive voix avec [elle] et de faire avancer ce dossier d’une importance capitale".
 
Seront-ils reçus et, surtout, des décisions seront-elles prises ? Retour sur la chronologie d’un blocage, dont les motivations sont probablement, au moins en partie, idéologiques. 
10 décembre 2015 Image d'une montre8 minutes icon 2 commentaires
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La France est un des rares pays européens où les médecins ne peuvent toujours pas prescrire du SATIVEX (illustration).

La France est un des rares pays européens où les médecins ne peuvent toujours pas prescrire du SATIVEX (illustration).


L'usage médical du cannabis, redécouvert après la prohibition occidentale instaurée dans les années 30
Le cannabis est utilisé depuis des siècles, notamment pour ses propriétés relaxantes et psycho-actives. Son usage médical, ancestral, s'est perdu avec la prohibition, débutée dans le monde occidental vers 1930.
 
Cependant depuis les années 60, malgré le maintien de la prohibition, son éventuel intérêt médical a été à nouveau exploré : de multiples études ont été réalisées, certaines négatives (pas d'intérêt démontré, par exemple, dans la maladie de Parkinson), d'autres montrant un intérêt significatif dans le VIH/sida, le glaucome, les neuropathies ou encore la sclérose en plaques (voir notre article).
 
Depuis la fin du XXè siècle, son usage médical ne se fait plus uniquement par voie traditionnelle (plante fumée, ingérée ou vaporisée) mais aussi, dans les pays occidentaux qui l'ont autorisé, par l'intermédiaire de comprimés, sprays, patchs, voire sodas, confiseries, etc.
 
SATIVEX  (nabiximols) se présente sous la forme d'un spray buccal qui délivre 2 extraits végétaux de cannabis (delta-9-tétrahydrocannabinol et cannabidiol). Il a fait l'objet de multiples études depuis 2004 et est prescrit dans 17 pays européens à des patients en général atteints de sclérose en plaques, en particulier pour diminuer leurs contractures musculaires. 
 
En 2013, Marisol Touraine ouvre la voie à une commercialisation du SATIVEX
La ministre de la santé Marisol Touraine a souhaité le 27 février 2013 2 que l'ANSM puisse étudier le dossier du SATIVEX, en vue d'une AMM puis d'une commercialisation.
 
Première étape : un décret, publié au Journal Officiel du 7 juin 2013 3, annule la restriction inscrite dans le Code de Santé Publique interdisant la production, la fabrication, le transport, l'importation, l'exportation, la détention, l'offre, la cession, l'acquisition ou l'emploi du cannabis et des tétrahydrocannabinols.

La publication de ce décret permet donc "la délivrance d'une autorisation de mise sur le marché à des médicaments contenant du cannabis ou ses dérivés".
 
En janvier 2014, délivrance d'une AMM pour le SATIVEX dans la SEP
Début janvier 2014, une Autorisation de mise sur le marché (AMM) a été délivrée pour SATIVEX 4, avec la même indication que dans les autres pays européens : "spasticité dans la sclérose en plaques après échec des autres thérapeutiques".
 
L'ANSM précise 5 que les conditions de prescription et de délivrance sont "une primoprescription réservée aux neurologues hospitaliers et aux médecins de rééducation hospitaliers, avec une délivrance en pharmacie de ville".
 
En octobre 2014, la Haute Autorité de Santé donne un "avis favorable" pour un remboursement de SATIVEX à 15 % (SMR faible)
L'analyse de la littérature effectuée par la Commission de la transparence (CT) de la HAS 6 (Haute Autorité de Santé) montre qu'"une efficacité sur un score de spasticité a été observée chez environ 10 % de patients insuffisamment soulagés par un traitement antispastique optimal".
 
En termes de tolérance, les événements indésirables les plus fréquents ont été des effets neuropsychiques (étourdissements, somnolence/fatigue) et gastro-intestinaux (nausées, sécheresse buccale).
 
La CT en a conclus que "SATIVEX est un traitement d'appoint chez des patients insuffisamment soulagés par un traitement anti-spastique optimal", avec un "rapport efficacité/effets indésirables modeste dans l'indication".
 
La CT considère donc que le service médical rendu par SATIVEX est faible dans l'indication de l'AMM, mais "elle donne un avis favorable à l'inscription de SATIVEX sur la liste des spécialités remboursables" (taux de remboursement proposé : 15 %). La commercialisation de SATIVEX en France "sera accompagnée de mesures de minimisation des risques et d'un suivi de pharmacovigilance et d'addictologie mis en place par l'ANSM", précise la CT.
 
A titre de comparaison, SATIVEX est remboursé dans 9 pays européens (Royaume-Uni, Espagne, Italie, Danemark, Autriche,  Norvège, Suisse, Liechtenstein), mais ne l'est pas (ou pas encore) dans les autres pays où il est autorisé. Au Canada et en Israël, il est pris en charge par des assurances privées.
 
Depuis octobre 2014, les mois passent, mais SATIVEX n'est toujours pas commercialisé, en raison d'un blocage du CEPS sur le prix de vente
Le ministère de la santé a donc communiqué début 2013, l'ANSM et la HAS ont pris le relais, et la commercialisation était logiquement envisagée en 2015.
 
Pourtant, plus d'un an après l'avis de la CT, SATIVEX n'est toujours pas disponible en France, en raison d'un désaccord entre les autorités de santé, représentées par le CEPS (Comité économique des produits de santé), et le laboratoire Almirall, distributeur du SATIVEX.

Selon Christophe Vandeputte, directeur général de ce laboratoire et  interrogé par Le Figaro en juin 2015 7, Almirall a proposé au CEPS un prix inférieur de 20 % au prix pratiqué dans les autres pays européens (400 € par spray).

Mais le CEPS a proposé un prix de vente nettement inférieur, représentant seulement 17 % du prix proposé par Almirall. "Or les mesures de sécurité sanitaire, de traçabilité et de bon usage représentent déjà 70 % du prix que l'entreprise propose aux autorités françaises", expliquait Christophe Vandeputte, toujours au Figaro.

En réponse, le CEPS a expliqué, toujours au Figaro, que l'intérêt pour la santé publique de Sativex ne nécessitait pas une arrivée sur le marché urgente, malgré l'important taux d'échec des myorelaxants actuellement disponibles en cas de sclérose en plaques avec spasticité.

Octobre - novembre 2015 : des données européennes en vie réelle présentées à l'ECTRIMS  et transmises aux autorités de santé, sans réponse
En octobre 2015, le laboratoire Almirall a fait parvenir à la Direction Générale de la Santé, qui dépend du ministère et fait partie du CEPS, de nouvelles données présentées à l'ECTRIMS (congrès européen pour le traitement et la recherche sur la SEP). Ces données en vie réelle espagnoles, anglaises et allemandes, confirment l'utilité du SATIVEX dans l'indication retenue, toujours pour certains patients répondeurs (Patti F et coll., ECTRIMS Online Library, octobre 2015 8).
 
Ces données montrent également "qu'aucune donnée ne suggère que SATIVEX augmente le risque de consommation de cannabis". Mais le dépôt de ce dossier n'a pas été suivi, à ce jour, de réaction des autorités sanitaires.
 
De même, plusieurs questions au sujet de la date de commercialisation de SATIVEX ont été posées à l'Assemblée Nationale, la dernière étant celle de Mr Christophe Sirugue, député socialiste de la 5e circonscription de Saône-et-Loire. Cette question a été posée le 10 novembre 2015 9 à la ministre de la santé Marisol Touraine, mais cette dernière n'y a toujours pas répondu (tout comme elle n'a pas répondu aux précédentes).
 
Décembre 2015 : face à ce blocage persistant, des patients interpellent Marisol Touraine pour lui demander des explications
Depuis fin 2014, le dossier est donc toujours bloqué au CEPS. Le ministère de la santé n'a plus pris la parole sur ce sujet, et les patients en sont réduits à attendre.

Une situation qui exaspère notamment les patients membres de la Ligue française contre la sclérose en plaques, qui viennent donc d'adresser une lettre ouverte à Marisol Touraine 1  pour l'interpeler sur le sujet.

Ils lui demandent quelles sont "les raisons valables de ce blocage de la part du gouvernement", tout en lui rappelant que la SEP est une maladie incurable, pour laquelle "préserver la qualité de vie est primordial". Cette maladie atteint 90 000 personnes en France et constitue la deuxième cause de handicap chez les jeunes adultes (après les accidents de la route).

Ils lui rappellent aussi à quel point la spasticité est une "contrainte dans chaque geste de la vie quotidienne" (déplacements, habillage, écriture, alimentation, cuisine, toilette, etc.), parlant de "véritable galère" aggravant la fatigue.

Ils soulignent également que les traitements actuellement disponibles pour lutter contre la spasticité (baclofène, toxine botulinique) sont inefficaces chez des milliers de patients français, et donc que "SATIVEX est un formidable espoir" pour ces patients non répondeurs aux traitements disponibles, même "s'il n'aura pas les effets escomptés pour tous".
 
Ils ne comprennent donc pas pourquoi ils en sont privés, alors que la plupart des patients européens y ont accès. Faut-il qu'ils tentent de s'en procurer dans les pays frontaliers, demandent-ils à la ministre ?
 
Blocage financier, concurrentiel ou idéologique ?
Le SATIVEX a un SMR faible et est relativement cher par rapport aux myorelaxants actuellement disponibles et génériqués.

Mais la cause du blocage actuel est-elle vraiment le remboursement à 15 % des flacons qu'utiliseront les patients à qui ils pourraient s'avérer utile ? Ou bien ce blocage pourrait-il être lié à la pression de concurrents, comme le craint le directeur du laboratoire Almirall ?

Ce blocage ne serait-il pas aussi d'ordre idéologique, en raison de la position singulière de la France vis-à-vis du cannabis ? La législation y est la plus stricte d'Europe, ce qui se traduit, notamment, par l'arrestation quotidienne de centaines de consommateurs 10. Et pourtant, c'est aussi en France que la consommation récréative est la plus élevée en Europe, traduisant l'inefficacité, désolante sur les plans sociaux et sanitaires, de ces mesures sécuritaires.

Si la crainte de laisser penser à une quelconque tolérance sur le cannabis est la raison principale de cet immobilisme, comment le justifier, l'accepter alors que, par exemple, des médicaments à base de morphine ou d'extrait sec d'opium sont en vente en pharmacie, sans blocage ministériel (l'opium et la morphine sont pourtant, comme le cannabis, interdits d'usage récréatif) ?
 
En tout cas, force est de constater que ce dossier n'avance pas, au grand dam des patients concernés par l'indication et en échec thérapeutique avec les médicaments actuellement disponibles.
 
Marisol Touraine, qui affirme régulièrement agir au service des patients, entendra-t-elle enfin l'appel de ces personnes souffrant d'une SEP, qui lui parlent de leur maladie et de leurs attentes, et non de la dépénalisation ou de la légalisation de l'usage d'une drogue psychoactive, ce qui est un autre sujet ?
 
En savoir plus :
  1. Les patients experts SEP interpellent la Ministre sur le Sativex, Ligue française contre la SEP, 10 décembre 2015
  2. Le ministère de la santé favorable à l'étude d'un médicament dérivé du cannabis par l'ANSM, AFP, 27 février 2013
  3. Décret n° 2013-473 du 5 juin 2013 modifiant en ce qui concerne les spécialités pharmaceutiques les dispositions de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique relatives à l'interdiction d'opérations portant sur le cannabis ou ses dérivés, JORF, 7 juin 2013 
  4. SATIVEX® : l'autorisation de mise sur le marché accordée au médicament, communiqué du ministère de la santé, 9 janvier 2014
  5. SATIVEX : point d'actualité, ANSM, compte-rendu de la séance du 20 mars 2014
  6. SATIVEX (delta-9-tétrahydrocannabinol/cannabidiol), analgésique, avis de la CT, Haute Autorité de Santé, 22 octobre 2014
  7. Médicament : bras de fer autour du prix du Sativex, LeFigaro.fr, 16 juin 2016
  8. Multicenter, prospective, observational study aimed at evaluating SAtivex efFEcts (effectiveness and tolerability) in a large population of Italian multiple sclerosis patients: SA.FE. study, Patti F et coll., ECTRIMS Online Library, octobre 2015
  9. Question N° 90981 de M. Christophe Sirugue (Socialiste, républicain et citoyen - Saône-et-Loire), Journal Officiel, 10 novembre 2015
  10. Trente ans de réponse pénale à l'usage de stupéfiants, OFDT, octobre 2015

Sur VIDAL.fr : 

Etude (USA) : la coprescription d'opiacés et de cannabis augmente-t-elle la consommation de substances psychoactives ? (juin 2015)

Usage thérapeutique du cannabis : un patient séropositif condamné mais dispensé de peine (juin 2014)

Le cannabis thérapeutique bientôt prescrit par les médecins français ? (juin 2013)

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jrwerther Il y a 8 ans 0 commentaire associé
Le tarif de remboursement d'un médicament inclus en général des frais de R&D très importants. En l'occurence, la molécule st pour le moins connue, et on peut s'étonner du prix qui doit être de 100 fois pus cher que le produit tel qu'on le trouve en vente illégale dan la rue. (5€ le gramme ?) Si on enlève les coûts induits par la proportion importante de produit saisie par la police (inconnu, mais 5% ?) , on se demande ce qui justifie un prix autre que dérisoire. T'en veuuuuux ? T'en aaaaas ?
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