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Arthrose douloureuse du genou : quelle place pour la chirurgie arthroscopique (méta-analyse) ?

La chirurgie arthroscopique du genou douloureux avec lésions dégénératives (arthrose) est de plus en plus utilisée en cas de douleurs persistantes malgré une prise en charge médicale (conseils hygiéno-diététiques, médicaments).

Cette intervention consiste à tenter de soulager la douleur en effectuant une ablation partielle du ménisque (rupture, fissure, déchirure, etc.), un "débridement" (retrait des morceaux de cartilage endommagés par l’arthrose) ou les deux (méniscectomie + débridement) .

Cette arthroscopie à but thérapeutique est-elle efficace, à court, moyen et long termes, pour réduire les douleurs non soulagées par le traitement médical ? Quels sont les risques ? Faut-il privilégier l’arthroscopie ou poursuivre le traitement médicamenteux ?

Afin d’en savoir plus, le Pr JB Thorlund (Danemark) et ses collègues ont procédé à une méta-analyse, dont les résultats ont été publiés en juin 2015 dans le British Medical Journal (BMJ).
03 septembre 2015 Image d'une montre7 minutes icon 8 commentaires
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Arthrose du genou bilatérale (illustration).

Arthrose du genou bilatérale (illustration).


Prise en charge thérapeutique de l'arthrose du genou
Près d'un tiers des personnes de plus de 65 ans ont des signes radiologiques d'arthrose du genou ("gonarthrose"), mais tous ne sont pas symptomatiques.

En cas de douleurs liées à cette arthrose, les règles hygiéno-diététiques sont à privilégier en première intention : mesures nutritionnelles en cas de surpoids, exercice physique sollicitant modéremment les genoux, mais suffisamment pour conserver ou améliorer la mobilité et le tonus musculaire (gymnastique, natation, marche, etc.). Les antalgiques de palier I (paracétamol) peuvent également être utilisés.

En cas d'inefficacité de ces mesures, d'autres solutions médicamenteuses peuvent être tentées, puis, éventuellement, des infiltrations voire, en tout dernier recours, la pose d'une prothèse (voir VIDAL Reco "Gonarthrose").

Depuis la fin des années 70, l'arthroscopie diagnostique (introduction d'une caméra dans la cavité articulaire par une petite incision) puis thérapeutique (introduction de pinces, ciseaux, etc. par une autre incision) sont également utilisées, en particulier en cas de lésion méniscale détectée, pour tenter de soulager les douleurs du genou arthrosique en visualisant puis ôtant les parties lésées du ménisque et/ou du cartilage articulaire.

Comme toute intervention chirurgicale, l'arthroscopie comporte des risques. Les bénéfices attendus de cette intervention compensent-ils ces risques ?

Neuf essais cliniques randomisés, 1 270 patients dont la moitié environ a eu une chirurgie arthroscopique
Afin d'en savoir plus sur ce rapport bénéfices-risques, le Pr JB Thorlund (Université du Danemark du Sud, service de la science du sport et de biomécanique clinique) et ses collègues ont recherché tous les essais cliniques publiés sur ce sujet.

Ils en ont retenu 9, regroupant 1 270 patients ayant bénéficié soit d'une arthroscopie (méniscectomie partielle, débridement ou les deux), soit d'un traitement non chirurgical (simple lavage articulaire via arthroscopie, chirurgie placebo, exercice physique, kinésithérapie ou médicaments). L'âge moyen des patients variait de 48 à 63 ans et la période de suivi de 3 à 24 mois.

Dans ces essais cliniques, les patients avaient évalué eux-mêmes l'intensité de leur douleur et le fonctionnement de leur articulation (utilisation d'une échelle visuelle analogique).

Les résultats de ces études ont été analysés en tenant compte de la sévérité des signes cliniques, radiologiques, de la nature des interventions pratiquées, des effets secondaires constatés dans les groupes "intervention" et les groupes "contrôle". Les études retenues pour évaluer les éventuels effets secondaires ont été effectuées après 2000.

Une diminution de la douleur "légère mais significative" dans les 6 mois suivant l'arthroscopie
Dans le groupe "intervention", les auteurs ont constaté une réduction moyenne de la douleur "légère mais significative". Cette réduction correspond, selon leurs calculs, à une diminution de l'auto-évaluation de la douleur de 2,4 mm sur une échelle visuelle analogique graduée de 0 à 100 mm par rapport au groupe contrôle (IC 95 % = 0,4 – 4,3). Or les auteurs soulignent que cette réduction est "bien inférieure aux 15-20 mm couramment proposés comme représentant une différence cliniquement significative sur la douleur".

De plus, ces résultats varient selon le délai entre l'intervention et l'auto-évaluation de la douleur par le patient. Ainsi, cette diminution est maximale 3 mois après l'intervention. Elle reste significative 6 mois après, mais ne l'est plus ensuite :

 

L'exercice physique et les AINS plus efficaces que l'arthroscopie contre la douleur
La  diminution constatée à court terme de la douleur, précisent les auteurs, est comparable à celle obtenue avec du paracétamol.

Elle est par contre inférieure à celle obtenue avec des anti-inflammatoires non stéroïdiens et nettement inférieure à celle obtenue avec un renforcement de l'exercice physique, comme le montre l'analyse par sous-groupes des résultats :
 


Pas d'amélioration fonctionnelle évidente, y compris à court terme
Les auteurs ont également recherché d'éventuelles améliorations fonctionnelles (marche plus facile par exemple) sur les 6 études évaluant ce critère. Mais ils n'ont pas constaté de différence significative sur la récupération fonctionnelle en comparant les patients opérés aux patients non opérés, y compris à court terme.
 
Des risques thrombo-emboliques et infectieux
Les auteurs ont constaté une mauvaise qualité du suivi des éventuels effets secondaires post-arthroscopie. Ils ont cependant retenu plusieurs études évaluant les effets indésirables après méniscectomie par arthroscopie.

Ces études évaluent le risque de thrombose veineuse profonde à 4,13 pour 1 000 interventions (IC 95 % = 1,78 – 9,60). Les autres risques constatés sont l'embolie pulmonaire (1,45 / 1 000), l'embolie dans d'autres veines (5,68 / 1 000), l'infection  (2,11 / 1 000) et le décès (0,96 / 1 000).
 
Les auteurs signalent que ces chiffres sont purement indicatifs, étant donné l'hétérogénéité des conditions de recueil et de suivi. Ces risques thrombo-emboliques et infectieux sont toutefois logiques, retrouvés dans toute intervention chirurgicale (ouverture cutanée chirurgicale, stase veineuse liée à l'immobilisation).

Les auteurs estiment cependant que ces risques sont inquiétants, étant donné les centaines de milliers d'arthroscopies effectuées chaque année dans le monde (ce qui, théoriquement, pourrait donc entraîner des centaines d'embolies et de décès…).

Une aggravation potentielle de l'arthrose ?
L'ablation partielle du ménisque risque d'augmenter la pression de contact sur les cartilages et donc d'aggraver l'arthrose à long terme, s'inquiètent les auteurs.

Pour étayer ce raisonnement, les auteurs font remarquer que les personnes ayant subi une intervention chirurgicale du genou en étant "jeunes" subissent plus tôt une chirurgie arthroplastique pour arthrose que celles sans antécédents de chirurgie du genou (cfBrophy RH et coll., 2014).

En conclusion : des données qui ne sont pas en faveur de la chirurgie arthroscopique en cas de douleur chronique du genou résistant au traitement médical
Cette méta-analyse est la première du genre à coupler l'analyse des bénéfices et risques de la chirurgie arthroscopique du genou en la comparant à d'autres traitements et en faisant des analyses par sous-groupes (signes radiographiques prononcés, condition physique, intensité de la douleur initiale, type d'intervention, etc.).

Les résultats montrent que le bénéfice clinique de cette intervention est modéré à court terme, inférieur à celui obtenu avec de l'exercice physique et non détectable à long terme. De plus, cette technique, comme toute intervention chirurgicale, expose à des risques thrombo-emboliques et infectieux. Elle risque, par ailleurs, d'aggraver l'arthrose à long terme.

Les auteurs en concluent que "ces données ne sont pas en faveur de l'utilisation de la chirurgie arthroscopique pour les patients d'âge moyen ou plus âgés souffrant de douleurs au genou, avec ou sans signes radiologiques d'arthrose".  
 
Faut-il pour autant arrêter dès à présent de pratiquer cette chirurgie ? Ou préciser ses indications ?
Pour le Pr Andrew Carr (chirurgie orthopédique, Nuffield Orthopaedic Centre, Oxford), interrogé par The Telegraph, "il devient difficile de soutenir ou justifier une procédure avec un risque de préjudice grave, même si ce risque est faible, lorsque cette procédure n'offre aux patients pas plus d'avantages que le placebo". Au vu du nombre actuel d'interventions arthroplastiques effectuées, "de nombreuses vies pourraient être sauvées et thromboses veineuses profondes évitées chaque année si ce traitement devait être interrompu ou diminué".

Mais le Pr Carr n'appelle pas pour autant à tout arrêter immédiatement. Il estime par contre que "lorsque le poids des preuves contre l'intérêt de la chirurgie du genou douloureux sera suffisant pour surmonter les préoccupations quant à la qualité des études, leurs biais de et liens d'intérêts", il faudra se préparer à une "inversion rapide de la pratique établie".

Ces résultats, surtout s'ils sont confirmés par d'autres études, pourraient donc inciter à davantage cibler les indications de la chirurgie arthroscopique du genou, par exemple en la réservant aux cas extrêmement douloureux avec une atteinte radiologique très sévère (comme lorsque l'indication d'un médicament est recentrée sur une pathologie particulièrement grave).

L'importance du ressenti du médecin... et du patient
De nouvelles recommandations prenant en compte ces données et/ou celles d'études ultérieures permettront donc peut-être d'affiner les indications de l'arthroscopie. Mais, comme le souligne le Dr Alain Asselineau, chirurgien orthopédiste (Centre hospitalier de Villeneuve-Saint-Georges), le ressenti du médecin et la demande du patient continueront probablement d'influer sur ce geste : "en pratique, lorsque nous sommes confrontés à un patient de 22 ans avec une lésion méniscale, nous préférons en général ne pas intervenir, en raison des risques ultérieurs d'arthrose. Mais s'il s'agit d'un patient de 50 ans qui dit ne plus pouvoir marcher, souffrir horriblement la nuit et que nous découvrons une lésion méniscale et un début d'arthrose radiographique, comment ne pas lui proposer de tenter de le soulager en enlevant la partie lésée du ménisque ? Il se peut aussi que nous le proposions à un patient et pas à un autre, en fonction de notre feeling : cela relève du côté humain de la médecine". 
 
En savoir plus :
Arthroscopic surgery for degenerative knee: systematic review and meta-analysis of benefits and harms, Thorlund JB et coll., BMJ, juin 2015, étude parue dans le cadre de l'initiative du BMJ "Too Much Medicine" (contre la surmédicalisation)
Total Knee Arthroplasty After Previous Knee Surgery, Brophy RH et coll., The Journal of Bone & Joint surgery, mai 2014
Keyhole knee surgery 'does little good and could kill patients', Sarah Knapton, The Telegraph, 16 juin 2015
Programme d'exercices physiques proposé pour l'arthrose du genou, équipe médicale et paramédicale du pôle ostéo-articulaire de l'hôpital Cochin (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris), rhumatismes.net, novembre 2000
 
Sur VIDAL.fr :
VIDAL Reco "Gonarthrose
Sources

Commentaires

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Guillaume Il y a 9 ans 0 commentaire associé
Excellente synthese, et en tant que patient (et collègue) sportif, les 3 arthroscopies pratiquees a 10 ans d'intervalle m'ont socialement relancées (le fait de ne plus pouvoir faire de sport avait un impact extrêmement négatif au quotidien).Encore bravo a votre équipe éditoriale pour cet article et je partage totalement l'article du Dr Asselineau : cas par cas et partage du risque de façon transparente avec le patient.
jrwerther Il y a 9 ans 0 commentaire associé
Bien que ce ne soit pas évident je sui tout à fait d'accord avec Sandri: aucun intérêt a réséquer un ménisque qui ne donne pas de symptôme mécanique dans une arthrose. Pas d'accord avec lui sur l'inutilité du lavage. Et que dire des complications des visco supplémentations et des infiltrations ...
jrwerther Il y a 9 ans 0 commentaire associé
Je sui toujours très chagriné par la lecture d'études "scientifiques" concernant la chirurgie orthopédique. La chirurgie en général met souvent a mal le gold standart de l'étude randomisée en double aveugle contre placebo. Difficile d'être aveugle (opéré ou pas), impossible de randomiser (personne n'accepte d'être tiré au sort pour la chirurgie : si on laisse le choix à un patient, il refuse en général la chirurgie par peur). Et la chirurgie placebo n'est plus vendable sur le plan éthique. Que reste t il, au moins en chirurgie fonctionnelle : une valeur statistique étonnement faible de toutes les études à proprement parler chirurgicales publiées jusqu'ici, sans aucune exception. Et c'est encore plus vrai pour une chirurgie purement fonctionnelle comme l'Orthopédie. L'effet placebo d'une chirurgie est majeur a priori. Que penser d'une méta analyse : une méta analyse qui tente d'agréger des données de très faible valeur unitaire et dont les modalités d'évaluation sont différentes induit une variance supplémentaire et sa valeur est encore plus faible. la comparaison avec l'efficacité du paracétamol défie la raison: quel patient acceptera une intervention chirurgicale s'il est soulagé par le paracétamol ? Une telle étude ne convaincra personne dotée d'un esprit critique, la réalité est que certains patients souffrent beaucoup, malgré le traitement médical, et que leur jeune âge fait hésiter le chirurgien pour la mise en place d'une prothèse totale (peu envisageable avant 70 ans au moins). ET comme la plupart des patients sont notablement (même si c'est pour une durée difficilement prévisible) soulagé par le lavage arthroscopique, l'indication va rester. On est un peu chagriné également de voir que le lavage simple est du coté "contrôle" comme si on tenant pour acquis qu'il était un simple placebo. les auteurs ont d'ailleurs retenu cette étude comme la seule ayant une méthodologie de bonne qualité. la déclaration de "pas de perdus de vus" est toujours assez amusante à lire dans une population assez âgée. Les séries ont également exclu et c'est fort heureux, les patients ayant des symptômes mécaniques très probablement d'origine méniscale (blocages aigus) qui restent certainement des indications légitimes. les complications retrouvées sont aussi très rares de l'ordre de 1/1000 (pour une étude avec en tout 1270 patients) ce qui fait 1 décès, qu'on peut trouver particulièrement faible pour un suivi d'un an sur une population de plus de 60 ans... Dont le taux de mortalité est de l'ordre de 0,8% par an. on est donc à 10% de la mortalité prévisible. je ne pense pas que beaucoup de chirurgiens pensent réellement qu'une méniscectomie partielle a un intérêt dans un genou anthropique sans signe de blocage. La conclusion évidente de cette lecture : "ça ne sert à rien et en plus ça tue", est très exagérée.
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