La méditation en pleine conscience et les thérapies cognitives qui l'utilisent représentent une sorte d'adaptation laïque des principes fondamentaux du bouddhisme (illustration).
En cas d'épisodes dépressifs majeurs répétés, le risque de rechute est élevé en l'absence de traitement de fond antidépresseur (de 50 à 80 % selon Richards D, 2011). D'où les préconisations du National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) d'instaurer un traitement antidépresseur de fond pendant 2 ans, préconisations qui rejoignent les recommandations en vigueur en France : "en cas de trouble dépressif récurrent (au moins 3 épisodes dépressifs majeurs au cours de la vie), la prolongation de la prescription du traitement antidépresseur doit être proposée pour une durée de 2 ans" (source : VIDAL Reco Dépression, élaborée par notre comité d'experts d'après les recommandaitons des autorités sanitaires françaises).
Mais ces préconisations peuvent être difficiles à suivre par des patients qui ne sont pas toujours compliants, ne tolèrent pas forcément bien ces médicaments… ou cherchent d'autres options du côté des médecines dites "alternatives".
Qu'est-ce que la "méditation en pleine conscience" ?
La méditation en pleine conscience est issue de la philosophie bouddhiste. Le bouddha (Siddhartha Gautama, également appelé "l'Eveillé") considérait en effet la conscience vigilante de ses propres pensées, actions et motivations comme un chemin vers l'Eveil spirituel.
Concrètement, cette méthode de méditation est destinée à permettre aux gens d'apprendre à devenir davantage conscients de leurs sensations corporelles, positives et négatives, et à "tourner intentionnellement leur esprit vers le moment présent", comme le résume le psychiatre Christophe André (St Anne, Paris), qui pratique et enseigne la méditation en pleine conscience depuis 12 ans (cf. cette synthèse publiée par C André dans Cerveau & Psycho - n° 41 en 2010).
La méditation en pleine conscience utilisée par les psychothérapeutes et les psychiatres
L'approche la méditation en pleine conscience a été appliquée notamment à la gestion du stress et de la dépression. Cette thérapie, appelée "thérapie cognitive basée sur la pleine conscience" (TCPC, ou MBCT, pour "mindfulness-based cognitive therapy", en anglais), a donc pour objectif d'inciter les patients à mieux percevoir les sensations, pensées et les sentiments négatifs associés à la rechute ou récidive dépressive et d'utiliser de manière constructive ces expériences pour "rentrer dans l'instant présent", en "pleine conscience" et en se dégageant de ces idées noires, au lieu de les ressasser, de s'y enfoncer, de se perdre...
Plusieurs exercices, en groupe ou au quotidien, permettent de parvenir à optimiser les capacités d'attention dans la vie de tous les jours et au travail sans ruminer les pensées dépressives, explique le Dr Christophe André dans l'interview ci-dessous, effectuée par Sciences et Avenir en 2013 :
Premières études aux résultats encourageants sur la diminution du risque de rechutes dépressives
Plusieurs études ont déjà démontré un intérêt de la TCPC dans cette indication. Une méta-analyse de Piet et Hoogard (2011) suggère ainsi un effet bénéfique significatif de la TCPC par rapport aux soins standards ou au placebo. En analysant 6 études randomisées effectuées auprès de 593 patients diagnostiqués avec une dépression majeure récidivante mais en rémission au moment des études, les auteurs ont constaté une réduction moyenne du risque de rechute de 34 % dans les groupes de patients suivant une TCPC par rapport au risque de rechute constaté dans les groupes "contrôles" (RR 0,66, IC95% 0,53–0,82).
William Kuyken et coll. ont réalisé, en 2008, une étude pilote auprès de 123 patients avec un suivi de 15 mois. Les résultats montrent que dans le groupe TCPC associée à des mesures de réduction ou suppression des antidépresseurs, les récurrences dépressives se chiffraient à 47 %, contre 60 % dans le groupe antidépresseurs seuls (OR 0,63 ; IC95% 0,39-1,04). Par ailleurs, un meilleur contrôle des symptômes résiduels et de la comorbidité psychiatrique a été constaté dans le groupe TCPC, avec une meilleure qualité de vie et à coût annuel égal. Enfin, dans le groupe TCPC, 75 % des patients ont pu interrompre complètement leur traitement antidépresseur.
La nouvelle étude de Willem Kuyken et coll. prolonge la démarche entreprise dans cette étude pilote, avec davantage de patients et une randomisation en simple aveugle.
Deux groupes de 212 patients anglais sous antidépresseurs, ayant présenté au moins 3 épisodes dépressifs majeurs
Les auteurs de l'étude multicentrique PREVENT, contrôlée et en simple aveugle, ont recruté 424 patients dans 4 centres de médecine générale, ruraux et péri-ruraux. Ils avaient déjà présenté au moins 3 épisodes dépressifs majeurs (EDM) selon le DSM-IV et étaient tous initialement sous traitement antidépresseur de fond aux doses recommandées. Ils ne présentaient pas, au moment de l'étude, un EDM (ni d'addiction majeure et autres comorbidités psychiatriques).
Pour le groupe testé en TCPC, Kuiken et coll. ont choisi un protocole en groupes qui comportait 8 séances hebdomadaires de TCPC suivies de séances de rappel tous les trimestres pendant un an. Ce groupe a également bénéficié, après 6 semaines de TCPC, d'une assistance à la diminution/suppression des antidépresseurs avec un psychologue et un médecin généraliste.
Dans le groupe "contrôle", le traitement de fond antidépresseur a été poursuivi et suivi de manière rapprochée pour assurer un bon niveau de compliance.
Un délai de rechute dépressive comparable dans les 2 groupes
Les auteurs ne constatent aucune différence significative à 2 ans en matière de délai de rechute, le critère primaire de l'étude : 94 (44 %) des 212 patients du groupe TCPC ont rechuté contre 100 (47 %) des 212 patients du groupe antidépresseurs à dose recommandée (HR à 0,89 ; IC95 0,67–1,18 ; p=0,43) :
Pas de différence non plus en analyse secondaire de la compliance au protocole donné, avec une rechute chez 81 (46 %) des 176 patients compliants du groupe TCPC contre 80 (49 %) des 162 patients compliants du groupe antidépresseurs (HR 0,79, IC95 0,58–1,08, p=0,14).
La TCPC plus efficace en cas d'antécédents de maltraitance infantile ?
Les auteurs ont constaté un moindre risque de rechute chez les personnes du groupe TCPC rapportant une sévère maltraitance infantile (47 % vs 59 %, HR 0,53 ; IC95 0,29–0,95; p=0.03).
A l'inverse, elle a augmenté légèrement ce taux chez les patients rapportant un faible niveau de violences dans l'enfance : 44 rechutes (42 %) chez 105 patients contre 35 (35 %) sur 101 patients sous antidépresseurs seuls. Une maltraitance infantile sévère est également associée dans l'étude à un parcours psychiatrique, des traitements et des antécédents familiaux plus lourds, à davantage d'hospitalisations et de tentatives de suicide.
Analyser les mécanismes de résilience et adopter une stratégie thérapeutique par pallier
Les auteurs ne notent pas de différence en analyse coût/efficacité entre les deux types de prise en charge.
Ils prônent donc une poursuite de l'analyse des mécanismes à l'œuvre dans les thérapies cognitives et suggèrent de les associer aux prises en charge des patients les plus lourds, en privilégiant une stratégie par paliers.
Ces thérapies cognitives non médicamenteuses effectuées en groupe, peu coûteuses, pourraient aussi représenter une alternative intéressante pour les patients qui ne peuvent tolérer un traitement antidépresseur d'entretien, ou ne le souhaitent tout simplement pas…
Pour en savoir plus :
Etude objet de cet article :
Effectiveness and cost-effectiveness of mindfulness-based cognitive therapy compared with maintenance antidepressant treatment in the prevention of depressive relapse or recurrence (PREVENT): a randomised controlled trial. Willem Kuyken, Rachel Hayes, Barbara Barrett et coll. The Lancet, 21 avril 2015
Autres études citées dans cet article :
Prevalence and clinical course of depression: a review. Richards D. Clin Psychol Rev 2011; 31: 1117–25.
The effect of mindfulness-based cognitive therapy for prevention of relapse in recurrent major depressive disorder: a systematic review and meta-analysis. Piet J, Hougaard E. Clin Psychol Rev 2011; 31: 1032–40.
Mindfulness-based cognitive therapy to prevent relapse in recurrent depression. Kuyken W, Byford S, Taylor RS, et al. J Consult Clin Psychol 2008; 76: 966–78.
Sur la méditation en pleine conscience et la TCPC ("thérapie cognitive basée sur la pleine conscience") :
Pleine conscience, fiche Wikipedia
La méditation en pleine conscience, Christophe André, Cerveau & Psycho - n° 41, septembre-octobre2010 (fichier PDF provenant de son site personnel)
Qu'est-ce que la méditation de pleine conscience ?, interview de Christophe André, Sciences et Avenir, juin 2013
La thérapie cognitive basée sur la pleine conscience, Michel Larouche, Ordre des psychologues du Québec, novembre 2009
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