#Santé

L’anorexie mentale chez le garçon, une pathologie souvent sévère

L’anorexie mentale est une pathologie encore souvent méconnue, et encore davantage lorsqu’elle concerne les garçons, qui peuvent développer des formes sévères sans que le diagnostic n’ait été posé. 
 
Comme pour l’anorexie féminine, le dépistage et la prise en charge précoce, spécialisée sont essentiels, souligne le Dr Corinne Blanchet-Collet, responsable de la médecine de l'adolescent (TCA/Boulimie) à la Maison de Solenn.

Retrouvez sur cette page de Vidal.fr les 7 vidéos issues de notre entretien avec le Dr Corinne Blanchet-Collet.
18 décembre 2014 Image d'une montre6 minutes icon Ajouter un commentaire
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Les garçons anorexiques, qui n'ont pas forcément un IMC effondré, font souvent beaucoup de sport (illustration).

Les garçons anorexiques, qui n'ont pas forcément un IMC effondré, font souvent beaucoup de sport (illustration).

 
VIDAL : L'anorexie est-elle en augmentation chez les garçons ?
Corinne Blanchet-Collet : il est compliqué de dire si c'est réellement plus fréquent, en termes d'incidence. En tout cas, les garçons nous sont de plus en plus souvent adressés en consultation spécialisée, peut-être parce que l'on commence à mieux les détecter. Il n'y a encore pas si longtemps, l'anorexie du garçon était une pathologie méconnue de l'environnement familial et médical : les médecins ne détectaient pas l'anorexie chez les garçons. Lorsqu'une fille qui perd du poids à l'adolescence, le "tiroir" de l'anorexie mentale est très vite ouvert, mais lorsqu'un garçon perd du poids à l'adolescence, au mieux on s'interroge, au pire on se dit que ce n'est pas grave, qu'il grandit, qu'il s'épaissira plus tard..
 
 

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VIDAL : Quelles sont les particularités de cette anorexie masculine ?
Corinne Blanchet-Collet : A la Maison de Solenn, nous récupérons en consultation des garçons anorexiques dans des situations cataclysmiques… : la plupart du temps il s'agit de formes massives, bruyantes avec des complications médicales parfois sévères, qui peuvent engager le pronostic vital : insuffisances cardiaques, perturbations hépatiques, rénales. Les quelques patients que j'ai envoyés en réanimation dès mon premier jour de consultation, c'est-à-dire la première fois que je les ai vus dans mon box, étaient quasiment paraparésiques [NDLR : faiblesse, paralysie légère] : ils étaient incapables de tenir leur tête, avaient du mal à marcher, à se tenir debout, étaient en insuffisance cardiaque avec des Å“dèmes jusqu'au cou. Ils ont été hospitalisés en réanimation avec des évolutions pas toujours positives...
 
VIDAL : Quels sont les signes pouvant faire évoquer une anorexie masculine ?
Corinne Blanchet-Collet : Ce sont souvent des garçons qui font beaucoup de sport, qui ont beaucoup d'activités et qui du coup, maintiennent des apports alimentaires qui ne sont pas nuls. C'est-à-dire qu'ils se mettent rarement en grande restriction alimentaire massive. C'est donc moins visible par les parents, qui s'alertent moins. Le garçon anorexique fait un petit peu attention, élimine les aliments un peu "fantaisie", fait un peu attention au gras mais en même temps, il s'est mis au sport, veut développer sa masse musculaire et finalement son comportement restrictif passe inaperçu.

Pourtant, ces garçons peuvent avoir des apports, des ingestas quotidiens de 1 500, 1 600 calories seulement :  ce n'est pas dramatique, même si c'est insuffisant, sauf qu'ils font 4, 5, 6 heures de sport par jour, donc ces apports ne suffisent pas. Par exemple, j'avais un patient qui faisait 6 heures de sport par jour : il avait des ingestas alimentaires qui étaient de 2 000 calories par jour, et qui n'étaient pas donc pas suffisants, pas adaptés à ses besoins.
 
VIDAL : Ce garçon avait-il un comportement "typique" d'anorexique ?
Corinne Blanchet-Collet : Ce patient, qui est quand même un exemple caricatural, était passé par des services de médecine interne, hépato-gastro, etc. car il avait développé une insuffisance rénale et présentait une cytolyse hépatique majeure. Les professionnels de santé ont donc recherché tout un tas de pathologies somatiques compliquées [NDLR : sans penser aux conséquences somatiques d'une anorexie mentale]. Le jour où je suis allée le voir, les infirmiers m'ont expliqué ce que ce patient mangeait : lorsque je leur ai dit qu'il s'agissait peut-être d'un trouble alimentaire, d'une anorexie, tout le monde m'a dit qu'il avait mangé un couscous à midi... Alors que dans la réalité, il n'en avait mangé qu'une moitié et l'autre moitié était "partie" dans les toilettes. Mais de fait, il n'affichait pas cette hostilité, cette réticence massive face aux aliments retrouvée chez les filles anorexiques. Il n'avait donc pas un comportement d'anorexique typique, sauf que derrière, il mettait son réveil, se réveillait au milieu de la nuit et faisait 4 ou 5 heures de pompes pour éliminer les quelques grains de semoule qu'il avait mangés…
 
VIDAL : A partir de quel IMC (index de masse corporelle) faut-il s'inquiéter ?
Corinne Blanchet-Collet : Les recommandations actuelles de la Haute Autorité de Santé mentionnent un IMC à 14, 13 comme étant un seuil qui doit commencer à alerter, et justifier peut-être d'une hospitalisation. Mon expérience clinique et la réalité médicale ne sont pas tout à fait pareilles : dans la vie, lorsqu'un garçon maigrit et surtout que la perte de poids est très rapide, la tolérance n'est pas bonne et on n'a pas besoin d'attendre des niveaux d'IMC à 13 ou 14 pour les voir arriver en faisant des décompensations multiviscérales. C'est vraiment un message qui doit être transmis aux étudiants en médecine et aux professionnels de santé. L'anorexie du garçon est grave, et pas forcément grave à 13 d'IMC, elle peut l'être à 14, 15 ou 16 d'IMC.
 
L'IMC peut même être normal : il y a quasiment un garçon sur deux qui, avant l'épisode anorexique, présentait un surpoids ou une obésité. Donc si vous partez d'un niveau de poids de 100 ou 120 kg et que vous atterrissez à 70 kg, en mesurant 1m80, vous avez un IMC normal. Lorsqu'un médecin généraliste reçoit ce type de patient sans forcément le connaître, les parents lui disent qu'il a perdu du poids. Le médecin peut leur répondre qu'il a quand même 19 d'IMC. Sauf que le gamin a perdu 30 ou 40 kg en 3 ou 4 mois…
 
VIDAL : Quels sont les risques de ces amaigrissements massifs ? Quels autres signes rechercher ?
Corinne Blanchet-Collet : L'impact est immédiat. Vous avez des transaminases à 10 fois la normale, une insuffisance rénale, des polynucléaires neutrophiles qui chutent. En l'absence de prise en charge, cela peut évoluer vers l'insuffisance multiviscérale et le décès du patient. Le delta entre le poids maximum et le poids minimum est donc au moins aussi important que l'IMC en valeur absolue. C'est vraiment un critère que l'on doit surveiller, vérifier et connaître. Il faut aussi évaluer la fréquence des vomissements associés : un patient garçon sur deux vomit dès les premiers épisodes de restriction alimentaire, alors que chez la fille, il y a souvent une phase d'anorexie restrictive initiale et puis ensuite, le symptôme évolue vers une forme plus mixte avec des crises de "binge" (boulimie), des vomissements etc. Chez le garçon, dans un cas sur deux, on a d'emblée les restrictions, ou en tout cas des apports non adaptés aux dépenses énergétiques, et des vomissements associés.
 
VIDAL : Faut-il également rechercher une dysmorphophobie ?
Corinne Blanchet-Collet : La dysmorphophobie [NDLR : perception déformée de son image corporelle] existe chez les garçons, elle est variable et n'est pas constante. Ils ont un trouble de l'image du corps qui peut être réel, avec la sensation d'avoir des cuisses trop grosses, d'avoir du gras sur le ventre. Ils font surtout une chasse au gras comme les filles, c'est-à-dire qu'ils ont une peur du gras et une volonté de faire disparaître toute trace de graisse. Ils ont surtout souvent une volonté de masse musculaire, l'envie de paraître encore plus virils, alors qu'ils sont adolescents, dans des quêtes identitaires où effectivement on se cherche, le corps se modifie : c'est ce qui légitime initialement les modifications du comportement, je vais manger différemment parce que je vais muscler mon corps. Je vais faire du sport, je vais m'inscrire à la salle de sport parce que je veux être plus musclé, je ne me sens pas bien dans mon corps, je suis trop maigre, je suis trop gros.

Il y a toujours des justifications qui du reste, sont peut-être des réalités, c'est-à-dire que dans cette période de transition et de modifications corporelles qui sont inhérentes à l'adolescence, il y a réellement une quête de se trouver et de trouver une image du corps qui correspond à ce que l'on a dans la tête. Sauf que parfois, cela "bugge" et part sur des voies qui conduisent à la pathologie anorexique.
 
VIDAL : Du côté des facteurs favorisants, incrimine-t-on, comme pour les filles, la minceur systématique des mannequins ?
Corinne Blanchet-Collet : Les figures de mode masculine aujourd'hui, les pantalons skinny, les chemises taillées slim, etc., laissent effectivement moins de place aux garçons qui sont un peu enrobés ou un peu ronds.. De façon moins caricaturale que les figures de mode féminines  orientées vers l'hyper minceur,  la mode évolue chez les garçons vers un corps plus sculpté, plus fin, plus musclé. C'est juste une réalité de notre environnement actuel, mais  est-ce qu'on le retrouve dans la clinique, chez nos patients ? Évidemment, ils ne seront pas capables d'en parler de cette façon, mais ils sont forcément influencés.

L'anorexie masculine reste tout de même une pathologie très rare, donc ces pressions environnementales viennent appuyer sur des fragilités personnelles qui déclenchent la pathologie. La pathologie de l'anorexie mentale est multifactorielle, aussi bien chez la fille que chez le garçon. Nous pouvons donc imaginer que ces facteurs environnementaux viennent aussi appuyer, chez certains garçons, sur des facteurs prédisposant à la maladie anorexique.
 
Propos recueillis le 5 novembre à la Maison de Solenn (Paris).
 
En savoir plus :
Le site de la Maison de Solenn (par exemple cette page sur l'anorexie / boulimie)
 
Sur VIDAL.fr :
VIDAL Reco Troubles des conduites alimentaires
 
Sur EurekaSanté.fr (site grand public de Vidal) :
Anorexie et boulimie
Sources

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