
La flore intestinale, ou microbiote, contient environ 100 000 milliards de bactéries qui influent sur l'organisme (illustration).
VIDAL : Quelles sont les retombées pratiques, pour les professionnels de santé, de l'étude NutriNet Santé ?
Serge Hercberg : Les retombées de cette étude concernent la prévention primaire, mais aussi la prévention secondaire voire tertiaire et auront des conséquences directes pour les professionnels de santé. Nous avons déjà publié des données purement descriptives concernant la consommation de sel [NDLR : voir ces résultats préliminaires rendus publics en novembre 2010, fichier PDF] et de fibres [NDLR : novembre 2012, fichier PDF]. D'autres données portent plutôt sur l'influence de certains comportements, régimes : nous avons contribué à montrer que les régimes restrictifs sont inefficaces à long terme et plutôt délétères, par rapport aux comportements de bon sens, comme les recommandations et conseils des professionnels de santé.
Nous avons également pu mettre en évidence et tester le rôle de l'information nutritionnelle : est-ce que mettre un logo, et quel type de logo, sur la face avant des emballages peut être utile pour orienter les consommateurs ? Là aussi, si ces logos sont instaurés, les professionnels de santé auront un rôle extrêmement important pour donner les règles du jeu, pour expliquer, pour s'appuyer sur ce type d'outil [NDLR : voir ce communiqué de Nutrinet, mars 2014].
VIDAL : Cette étude ouvre-t-elle également de nouvelles perspectives ?
Serge Hercberg : Il y a de nombreuses pistes qui s'ouvrent. D'abord, celle d'une approche plus mathématique des comportements alimentaires pour obtenir une vision plutôt globale que ciblée sur un aliment ou un nutriment. Au-delà des hypothèses de base que nous cherchons à vérifier, de nouvelles hypothèses pourraient naître de l'analyse de cette multitude de données, de datas provenant de très larges populations.
Et nous allons un peu plus loin, c'est-à-dire que nous utilisons désormais des marqueurs biologiques [NDLR : Biobanque Nutrinet Santé, février 2011]. Cela ne passe bien sûr pas par Internet : plus de 20 000 sujets sont déjà venus dans des centres, des antennes NutriNet, généralement des structures de santé et nous avons pu leur prélever des échantillons de sang (donc du plasma, du sérum, des cellules pour pouvoir faire des analyses génétiques) et d'urine. Nous gardons tout cela dans une biobanque, à moins 80 degrés, ce qui va permettre de tester certains biomarqueurs qui peuvent nous permettre de comprendre les relations entre l'alimentation et la santé ou qui peuvent être intéressants pour prédire le risque de survenue de certaines maladies.
Puis nous nous intéressons à des pistes nouvelles, comme celle des rôles et fonction du microbiote, ou flore intestinale. Nous pouvons désormais l'analyser de façon très précise, et il y a des hypothèses très fortes de relation du microbiote avec la nutrition. Nous commençons à collecter des échantillons de selles pour pouvoir observer le métagénome de ce microbiote, pour pouvoir analyser les différences de flores bactériennes entre les individus et leur impact. Ces analyses peuvent aussi nous aider à comprendre les mécanismes qui expliquent les relations entre la nutrition et la santé et avoir des retombées directes, notamment en médecine personnalisée [NDLR : modification intentionnelle de la composition du microbiote, par ingestion, greffe fécale, etc.]. Il y a bien d'autres pistes nouvelles à explorer, comme l'analyse des signatures métaboliques, appelée la "métabolomique" : nous observons les métabolites de l'organisme (sucres, acides gras, acides aminés, etc.), ce qui pourrait déboucher sur l'identification de biomarqueurs qui aideront demain les cliniciens à mieux suivre ou mieux pouvoir prédire le risque de maladies.
VIDAL : Au-delà de NutriNet, les outils numériques de suivi peuvent-ils aider les professionnels de santé ?
Serge Hercberg : Faire des enquêtes alimentaires c'est long, c'est compliqué, c'est souvent difficile pour un médecin dans sa pratique quotidienne et donner des conseils personnalisés devient extrêmement complexe puisqu'il faut des données suffisamment précises… Il est vrai que les outils digitaux, que ce soit par Internet ou Smartphone, vont pouvoir aider les professionnels de santé à se décharger d'une partie très technique, longue. Grâce à ces outils, ils vont pouvoir obtenir des informations leur montrant ce que consomment réellement les gens, ce qu'ils aiment, et vont éventuellement pouvoir les orienter. Ces outils peuvent donc vraiment s'avérer être des aides aux praticiens pour élaborer des recommandations personnalisées à partir des modes alimentaires individuels.
C'est un avenir extrêmement intéressant, de la même façon que les outils digitaux aident aujourd'hui à l'activité physique, en faisant prendre conscience aussi aux individus de la qualité et intensité de leurs marches, leurs courses. Cette évolution de la médecine peut nous faire espérer, sans rien retirer au rôle du professionnel de santé, que ces outils constituent des aides extrêmement précieuses. Aujourd'hui, cela aide la recherche, demain cela aidera également l'activité clinique.
Propos recueillis le 21 octobre 2014 à l'Unité de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle (UREN) de l'Université Paris 13 (Hôpital Avicenne, Bobigny).
En savoir plus :
Le site de NutriNet Santé
Premiers résultats sur les apports alimentaires en sel, Nutrinet Santé, 22 novembre 2010
Les apports de fibres alimentaires dans la population française, Résultats préliminaires, Nutrinet Santé, 22 novembre 2012
Logos d'information nutritionnelle en forme de feux tricolores, Communiqué de Presse de la coordination de l'étude NutriNet-Santé, 12 mars 2014
Lancement de la Biobanque NutriNet-Santé, février 2011
Propositions pour un nouvel élan de la politique nutritionnelle française de santé publique dans le cadre de la Stratégie nationale de santé - 1ère partie : mesures concernant la prévention nutritionnelle, Pr Serge Hercberg, janvier 2014
Sur VIDAL.fr :
Greffe de flore intestinale : les recommandations de l'ANSM pour améliorer la sécurité (juin 2014)
Etude (Inserm) : le suivi étroit des recommandations nutritionnelles du PNNS diminuerait le risque cardiovasculaire (novembre 2013)
MetaGenoPolis, une initiative pour mieux comprendre les milliards de bactéries du microbiote intestinal (août 2013)
Sources
Pour recevoir gratuitement toute l’actualité par mail Je m'abonne !
Commentaires
Cliquez ici pour revenir à l'accueil.