VIDAL : L'équilibre alimentaire est-il compatible avec les notions de plaisir, de convivialité ?
Serge Hercberg : En France, nous avons un lien avec notre alimentation qui n'est absolument pas uniquement biologique et fonctionnel : nous ne mangeons pas simplement pour couvrir des besoins, comme d'ailleurs chez les Anglo-Saxons, mais nous mangeons également pour le plaisir. Ce qui est intéressant maintenant dans la nutrition et la démarche de santé publique, c'est l'absence d'incompatibilité entre plaisir, convivialité, partage, gastronomie et santé. Au contraire, il est tout à fait possible d'avoir une alimentation favorable à la santé et permettant de garder cette notion de plaisir, qui est fondamentale.
Le discours nutritionnel qui est tenu aujourd'hui n'est plus du tout un discours moraliste, du style "il ne faut jamais manger gras, être tout le temps très attentif, ne manger que du poisson en papillote et des légumes obligatoirement cuits à la vapeur" (même si cela peut être très bon). Aujourd'hui, le discours nutritionnel qui est tenu est plutôt celui-ci : "vous pouvez manger 3 religieuses au chocolat si cela vous fait plaisir, mais à condition que ce ne soit pas à chaque repas ni tous les jours".
Il est donc très important (et pour les professionnels de santé c'est tout à fait essentiel) de dédramatiser le discours nutritionnel, qui ne doit être ni un discours de prohibition ni de restriction. L'équilibre alimentaire se fait pour plusieurs jours, il faut respecter le plaisir. L'alimentation c'est d'abord un acte de plaisir. Mais manger un bon plat de légumes peut être un vrai plaisir, ce n'est pas non plus une punition de manger de bons fruits ou des féculents, ce peut être un plaisir. Donc il faut restaurer cette image et ne pas donner l'impression simplement que les produits plaisir seraient obligatoirement des produits qui ne seraient pas bons pour la santé ou à l'inverse, que les produits bons pour la santé ne seraient pas des produits plaisir.
Regardez les grands cuisiniers qui arrivent aujourd'hui à réaliser des recettes extraordinaires avec beaucoup moins de gras, de sucre et de sel, montrant bien que c'est tout à fait possible. Il y a aussi un gros effort à faire pour dédramatiser… Il est fondamental d'associer plaisir et nutrition, ce qui est une spécificité du programme national nutrition santé en France.
VIDAL : Le manque de plaisir peut-il expliquer l'échec des régimes restrictifs ?
Serge Hercberg : Nous observons, en particulier via NutriNet Santé, que lorsque les gens sont frustrés par des régimes restrictifs, soit monotones (consommation répétitive des mêmes aliments) soit draconiens (prise de quantités vraiment infinitésimales de produits très particuliers), ce sentiment de frustration est un facteur d'abandon du régime. Ces personnes risquent ensuite de reprendre une alimentation débridée (NDLR : ce qui aboutit à l'effet yoyo : perte de poids importante, reprise du poids perdu avec un surcorît de kilos, nouveau régime draconien, etc.].
Donc oui, il faut garder le plaisir comme moteur de l'alimentation : le bon sens, qui va être de dire "modérez les portions, réservez à certaines occasions certains types d'aliments", est beaucoup plus efficace car cela n'entraîne ni perte de plaisir, ni frustration, ni culpabilisation. Il faut vaut vraiment que l'on dédramatise la nutrition et bien montrer que ce n'est plus la diététique traditionnelle telle qu'on la voyait auparavant, obligatoirement stigmatisante, culpabilisante et extrêmement frustrante.
VIDAL : En cas de régime lié à un traitement, comment maintenir ce plaisir ?
Serge Hercberg : Pour les gens qui ont des pathologies comme le diabète, ou des facteurs de risque cardio-vasculaires, nous constatons l'énorme difficulté qu'il peut y avoir à gérer cette alimentation et là, il est encore plus important de leur préserver cette notion de plaisir. L'adhérence aux recommandations nutritionnelles, la compliance au traitement sera extrêmement liée à la capacité que l'on a de ne pas frustrer les patients. Donc nous sommes de plus en plus ouverts à des conseils qui, réellement, respectent les habitudes alimentaires, le plaisir. Ce plaisir est individuel : certains vont aimer tel type d'aliment, à l'inverse d'autres, donc il faut à chaque fois adapter les conseils nutritionnels.
Nous avons donc besoin de prodiguer des conseils qui ne soient pas uniquement génériques (comme les conseils de prévention primaire), mais des conseils adaptés, qui partent de ce que mangent les consommateurs, de leurs souhaits : lorsqu'un diabétique dit aimer tel aliment, il faut l'intégrer ; par contre, lorsqu'il n'en aime pas tel autre, ce n'est pas la peine de le lui proposer. Il faut donc aujourd'hui personnaliser tous les conseils, toutes les recommandations, toutes les prescriptions délivrées aux patients pour lesquels la nutrition est un facteur influant sur le contrôle ou l'évolution de leur maladie.
Propos recueillis le 21 octobre 2014 à l'Unité de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle (UREN) de l'Université Paris 13 (Hôpital Avicenne, Bobigny).
En savoir plus :
Le site de NutriNet Santé
Le site du PNNS
Sources
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