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La dengue en Afrique : finalement, qu’en sait-on ?

06 octobre 2014 Image d'une montre3 minutes icon Ajouter un commentaire
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Médecine des voyages

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La dengue est l’une des infections qui a connu l’extension la plus remarquable dans la deuxième moitié du siècle dernier. Passée du statut de « grippe tropicale » presque anecdotique à celui de première arbovirose humaine mondiale, elle est devenue une priorité pour l’OMS. On considère aujourd’hui qu’elle menace entre un tiers et la moitié de la population mondiale. Tous les pays situés en zone tropicale ou subtropicale sont menacés, et les conditions de transmission pourraient se trouver bientôt réunies dans les régions tempérées où le moustique Aedes albopictus s’est implanté et gagne du terrain. Or, alors que la maladie est invalidante et parfois grave ou même mortelle, qu’elle pèse lourd sur les économies des pays où elle est endémique, on ne dispose toujours pas de vaccin (bientôt, peut-être) ou de traitement spécifique. On considère que les virus de la dengue infecteraient 50 à 200 millions de personnes par an, dont 500 000 présentent des formes graves, à l’origine de plus de 20 000 décès survenant surtout chez des enfants.

Il s’agit cependant d’estimations, car les données précises sur la dengue font encore défaut. La maladie n’a jusqu’ici véritablement concerné que des pays où les moyens de diagnostic et d’investigation font défaut, et où les priorités, qu’elles soient de santé publique ou d’ordre général, sont généralement ailleurs. Le cas de l’Afrique est exemplaire. La dengue en est selon toute vraisemblance originaire, et on y a observé le virus en diverses occasions, soit dans un cycle sauvage impliquant des moustiques et des singes, soit dans à l’occasion de cas ou d’épidémies humains. Mais les pays africains semblent étonnamment peu touchés. Alors, la dengue y est-elle peu présente, ou insuffisamment diagnostiquée ? C’est la question à laquelle essaie de répondre un article rédigé par un groupe de spécialistes internationaux, récemment publié dans Emerging Infectious Diseases (Jaenisch et coll., 2014).

Sans surprise, le constat est que les systèmes de santé des pays africains ne sont pas organisés ou équipés pour donner une image précise de l’impact local de la dengue. Celle-ci est donc très certainement sous-reportée et méconnue, alors que beaucoup de questions se posent à son sujet, dont les réponses auraient sans doute un intérêt pour tous. La dengue pourrait aussi être moins fréquente que dans d’autres pays tropicaux, ou se présenter de façon différente : des facteurs viraux, environnementaux ou humains pourraient être responsables de ces différences, et leur identification pourrait aider la recherche de moyens de protection.

La situation présentée par l’article n’est en rien nouvelle, et la question qu’il faut se poser est sans doute de savoir pourquoi on en est encore à faire un tel constat. Nous le faisions déjà dans les années 1990, à l’occasion de l’observation d’un cas de dengue 1 resté curieusement « unique » alors qu’il était survenu en milieu urbain (Durand et coll., 2000).

La situation a donc peu évolué, et elle ne concerne pas seulement la dengue. Nous savons peu, et les pays qui en ont les moyens ne cherchent pas toujours à savoir, ce qui touche des maladies par lesquelles nous ne nous sentons pas concernés. C’était le cas pour le chikungunya avant l’épidémie de La Réunion en 2005, puis l’extension du virus au continent américain : l’épidémie qui a frappé des dizaines de milliers d’habitants de Kinshasa en 2002 n’a pas suscité de grande mobilisation (Pastorino et coll. 2004). C’est aujourd’hui le cas pour Ebola, avec une épidémie cette fois hors de contrôle, selon les mots de MSF, alors que le virus, que l’on connait depuis les années 70, ne semble présenter aucune propriété nouvelle. Et d’autres infections pourraient encore nous surprendre et déborder nos lignes de défense, si, lors de chaque épisode, nous ne nous donnons pas la peine d’en apprendre le plus possible sur leurs déterminants, lorsque nous en avons les moyens. Le plaidoyer, renouvelé par Jaenisch et coll., pour une amélioration des systèmes de surveillance et de contrôle de la dengue (et d’autres infections) en Afrique est parfaitement justifié, et nous devons comprendre qu’il est aussi dans notre intérêt.

Références

  1. Jaenisch T, Junghanss T, Wills B, Brady OJ, Eckerle I, Farlow A, Hay SI, McCall PJ, Messina JP, Ofula V, Sall AA, Sakuntabhai A, Velayudhan R, Wint GR, Zeller H, Margolis HS, Sankoh O; Dengue in Africa Study Group. Dengue expansion in Africa-not recognized or not happening? Emerg Infect Dis. 2014 Oct;20(10). doi: 10.3201/eid2010.140487.
  2. Durand JP, Vallée L, de Pina JJ, Tolou H. Isolation of a dengue type 1 virus from a soldier in West Africa (Côte d'Ivoire). Emerg Infect Dis. 2000 Jan-Feb;6(1):83-4.
  3. Pastorino B, Muyembe-Tamfum JJ, Bessaud M, Tock F, Tolou H, Durand JP, Peyrefitte CN. Epidemic resurgence of Chikungunya virus in democratic Republic of the Congo: identification of a new central African strain. J Med Virol. 2004 Oct;74(2):277-82.

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