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Cigarette électronique et sevrage tabagique : une publication sème le trouble...

Le 24 mars, une publication de la revue JAMA Internal Medicine sur la cigarette électronique a été largement reprise par la presse française et internationale.  Ses conclusions ? "La e-cigarette pourrait ne pas faciliter l'arrêt du tabagisme".

Mais ce travail comporte des faiblesses méthodologiques majeures qui rendent difficile son interprétation. Ses conclusions ont d'ailleurs été immédiatement et fortement contestées aux Etats-Unis, en particulier par un expert américain réputé de la lutte anti-tabac, le Dr Michael Siegel.
25 mars 2014, modifié le 05 août 2014 Image d'une montre4 minutes icon Ajouter un commentaire
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La cigarette électronique a été inventée en 2003 par Hon Lik, ancien pharmacien et ingénieur chinois. Sa place dans le sevrage tabagique n'est pas encore définie.

La cigarette électronique a été inventée en 2003 par Hon Lik, ancien pharmacien et ingénieur chinois. Sa place dans le sevrage tabagique n'est pas encore définie.

Un questionnaire réalisé entre fin 2011 et fin 2012 auprès de 949 Californiens
Rachel Grana et ses collègues du Center for Tobacco Control Research and Education (université de Californie, San Francisco), ont analysé les questionnaires remplis à deux reprises (novembre 2011 et novembre 2012) par 949 Américains fumeurs, âgés de plus de 18 ans.

Les questions portaient sur l'intensité du tabagisme, l'intention d'arrêter de fumer et le délai entre le réveil et la prise d'une première cigarette. Une seule question non quantitative était également posée sur la e-cigarette : "En dehors des cigarettes, avez-vous utilisé une cigarette électronique ces 30 derniers jours (au moins une fois)". 

Pas d'impact mesuré sur le sevrage tabagique
Les auteurs ont constaté que les 88  personnes ayant utilisé au moins une fois une e-cigarette fumaient significativement plus tôt après leur réveil. Ces personnes n'avaient pas plus l'intention d'arrêter que les non-utilisateurs. Un an plus tard, ces utilisateurs de la e-cigarette, ponctuels ou réguliers, n'avaient pas changé significativement leurs habitudes et ne s'étaient pas non plus davantage arrêtés de fumer.

Les faiblesses statistiques mentionnées par les auteurs
Les auteurs soulignent, dans la discussion de cette analyse, que la faible taille de l'échantillon d'utilisateurs de cigarette électronique (88) et le faible nombre de ceux qui ont arrêté (9) "pourrait avoir affecté la signification statistique" de leurs résultats.

Ils reconnaissent également ne pas avoir "de données détaillées sur les caractéristiques d'utilisation de la e-cigarette, telles que la fréquence, la durée, les modes d'utilisation, ou la motivation pour l'utiliser".

Il faut également noter que les deux questionnaires ne portaient pas sur la réussite, ou non, du sevrage tabagique, mais sur les habitudes des fumeurs. Il ne s'agissait donc pas d'une étude sur l'efficacité, ou non, de l'e-cigarette en cas d'intention d'arrêter de fumer. Enfin, comme le remarque sur son blog le Dr Michael Siegel (expert de la lutte anti-tabac, professeur au Département des sciences de la santé communautaire à l'École de santé publique de l'Université de Boston), seuls 7 (8 %) des 88 utilisateurs, ponctuels ou non, de la e-cigarette, déclaraient avoir l'intention d'arrêter de fumer (cf. "Table", sous le résumé), ce qui rend très hasardeuse l'interprétation des observations.
 
Une conclusion non pertinente par rapport aux faiblesses de l'analyse
Malgré ces faiblesses statistiques, la nature de l'étude (non randomisée en deux groupes, témoin et expérimental) et l'objet même de ce questionnaire, les auteurs concluent, certes au conditionnel, que "la e-cigarette pourrait ne pas faciliter l'arrêt du tabagisme". Ils préconisent  également "l'interdiction des slogans publicitaires affirmant ou suggérant que la cigarette électronique est efficace pour arrêter de fumer jusqu'à ce que de telles assertions soient démontrées scientifiquement".

Malheureusement, le communiqué de presse n'a pas tenu compte des réserves statistiques et méthodologiques nécessaires, se focalisant sur leur conclusion. Or ce communiqué a été repris, notamment, par l'AFP et de multiples medias. De nombreux supports français ont donc titré sur l'inefficacité démontrée de la cigarette électronique, alors que cette analyse ne le démontre absolument pas.

Pour le Dr Siegel, ce serait même "une tragédie si les décideurs utilisaient les conclusions de cette «étude» pour en tirer des conclusions sur l'efficacité des cigarettes électroniques à des fins de sevrage tabagique".

Un besoin grandissant d'études de qualité
L'utilisation de la cigarette électronique est récente. Les études sur son impact sur le sevrage tabagique manquent pour l'instant de recul. Une étude randomisée, publiée dans le Lancet en septembre 2013, a par exemple montré un impact modeste sur le sevrage, comparable à celui des patchs à la nicotine. Mais le suivi n'avait duré que 6 mois…

D'autres études scientifiques sur les effets positifs et/ou négatifs de l'utilisation de la cigarette électronique seraient en cours et pourraient permettre d'en savoir davantage.

Du côté français, l'Inpes (Institut national de prévention et d'éducation pour la santé) devrait publier d'ici la fin de l'année une étude nationale, lancée début janvier auprès de 15 000 personnes âgées de 15 à 75 ans (voir notre article).

Que faire en attendant en cas de demande de sevrage tabagique ?
En l'absence d'études probantes, faut-il conseiller à une personne qui souhaite arrêter de fumer de tenter la cigarette électronique ? Pour la Haute Autorité de Santé, "leur utilisation ne doit pas être déconseillée mais doit s'inscrire dans une stratégie d'arrêt ou de réduction du tabac avec accompagnement psychologique" (voir notre article).

Cette question est de toute façon à mettre en perspective avec les ravages de la cigarette, indéniables et massivement meurtriers. Comme nous  le faisait remarquer fin janvier le Dr Claude Leicher, médecin généraliste et président de MG France,  "avec la cigarette, vous avez de la combustion, avec des goudrons, du monoxyde de carbone, etc. Alors qu'avec la cigarette électronique, il n'y a pas de combustion, c'est de la vapeur, de la nicotine et quelques produits dont les médecins s'interrogent, jusqu'à présent, sur l'éventuelle dangerosité. Il semblerait qu'il n'y a pas de produits très dangereux, même si cela reste à confirmer. Mais entre la cigarette et la cigarette électronique, il n'y a pas photo (…) Aujourd'hui nous sommes aussi dans une politique de réduction des risques pour le tabac : si cela passe par la cigarette électronique, ce n'est pas le nec le plus ultra, mais c'est mieux que la cigarette".

Jean-Philippe Rivière

En savoir plus :
- "A Longitudinal Analysis of Electronic Cigarette Use and Smoking Cessation", Rachel A Grana et coll., JAMA Internal Medicine, 24 mars 2014
- "New Study on Electronic Cigarettes by UCSF Researchers is Not Only Bogus Science, But is Also Dishonest", Dr Michael Siegel, 24 mars 2014
- "E-cigarettes not associated with more smokers quitting, reduced consumption", Communiqué de The JAMA Network Journals via Eurekalert!, 24 mars 2014
- "USA: la cigarette électronique pas efficace pour arrêter de fumer (étude)", AFP, 24 mars 2014

Sur VIDAL.fr :
- "Lutte contre le tabagisme et e-cigarette : les mesures annoncées par Marisol Touraine", 31 mai 2013
- "Quelle utilisation en France de la cigarette électronique ? L'Inpes lance une étude nationale", 7 janvier 2014
- "Entre la cigarette et la cigarette électronique, il n'y a pas photo" Dr Claude Leicher (MG France), 30 janvier 2014
Sources

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