#Recherche

L’épigénétique, clef de la compréhension de la constitution des maladies métaboliques ? Et d'autres pathologies ?

Loin du "tout génome" des années 60, de nombreuses équipes dans le monde cherchent actuellement à mettre en évidence l’influence de tel ou tel facteur environnemental, "épigénétique", sur l’expression de certains gènes et la survenue éventuelle de troubles, pathologies.

Le Pr Charlotte Ling et ses collègues ont par exemple mis en évidence les changements induits par une activité physique régulière sur des milliers de gènes influant sur le métabolisme des adipocytes. Une mise en évidence qui pourrait expliquer les effets préventifs et curatifs de l’exercice physique en cas de surpoids, obésité ou diabète de type 2.

Zoom sur l’épigénétique, cette étude et quelques travaux récents passionnants et prometteurs.
11 juillet 2013 Image d'une montre6 minutes icon Ajouter un commentaire
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Ce schéma, issu d'une publication récente, résume les connaissances actuelles sur l'épigénétique.

Ce schéma, issu d'une publication récente, résume les connaissances actuelles sur l'épigénétique.


Qu'est-ce que l'épigénétique ?
"L'épigénétique a toujours été l'ensemble de ces choses bizarres et merveilleuses que la génétique ne sait pas expliquer ", résume le Dr Denise Barlow (Université de Vienne, Autriche) : "l'épigénétique contrôle nos gènes".

Ce terme, proposé dès 1942, désigne en fait la modification possible de l'expression des gènes sous l'influence de facteurs environnementaux collectifs (pollution atmosphérique, pesticides, organisation de la société, du travail, perturbateurs endocriniens, etc.) et individuels (stress, évènement familial, âge, choix d'alimentation, prise volontaire de drogues légales ou non, etc.), aboutissant à une utilisation du génome très variable selon les individus et leur environnement.

Pour illustrer ce phénomène, cet extrait d'une émission d'Arte compare le génome à une partition, et l'épigénétique au travail du chef d'orchestre qui va faire interpréter la partition en fonction de différents facteurs (sensibilité, technique, culture musicale, etc.) :

 

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Une modification de l'expression des gènes en fonction de l'accessibilité de l'ADN
Les facteurs environnementaux ("facteurs épigénétiques") vont influer sur la morphologie de l'ADN chromosomique : schématiquement, si l'ADN est accessible (ADN "déplié"), cela va permettre à l'ARN-polymérase lde transcrire l'ADN en ARN, donc permettre l'expression du ou des gène(s). Tandis que l'inaccessibilité de l'ADN  (ADN "replié") empêche cette transcription (voir ci-dessus le schéma illustrant cet article, adapté de cette publication américaine récente) .

Les chercheurs ont identifié plusieurs facteurs intracellulaires influencés par l'environnement et susceptibles de modifier cette accessibilité/inaccessibilité des gènes :
- le degré de méthylation de certaines bases nucléotidiques de l'ADN (les cytosines) ;
- l'éventuelle modification des histones (protéines autour desquelles s'enroule l'ADN des chromosomes, qui peuvent être méthylées, acétylées ou phosphorylées) ;
- ou encore le possible remodelage de la chromatine (organisant ou désorganisant les histones).

L'animation ci-dessous, malheureusement commentée en anglais, permet de visualiser ces modifications architecturales de l'ADN en fonction de facteurs épigénétiques :

 

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Ces modifications épigénétiques peuvent être stables dans le temps, voire transmises héréditairement.

En résumé, l'épigénétique explique, au niveau intra-cellulaire, pourquoi deux individus présentant la même particularité génétique n'expriment pas forcément le même trait de caractère ou la même pathologie correspondant à cette particularité.

Edith Heart, titulaire de la Chaire d'Epigénétique et mémoire cellulaire au Collège de France, explique d'une autre manière, sur cette vidéo de 3 minutes, pourquoi "nous sommes bien plus que nos gènes".

L'activité physique modifie la méthylation de l'ADN du tissu adipeux
Le Pr Charlotte Ling (Université de Lund, centre du diabète, Malmö, Suède), spécialisée dans l'étude de l'épigénétique du diabète de type 2, et son équipe ont analysé l'éventuelle influence de facteurs épigénétiques comme la méthylation de l'ADN sur le métabolisme des adipocytes. Ces travaux ont été publiés en juin 2013 dans PLOS Genetics

Pour cela, ils ont effectué des biopsies sous-cutanées du tissu adipeux chez 23 hommes en bonne santé, plutôt sédentaires,  avant et après 6 mois d'exercice modéré (2 séances par semaine).

476 753 zones de l'ADN ("îlots CpG") présentes dans le tissu adipeux ont été examinées :
- Au départ, il n'y avait pas de différences significatives de méthylation de l'ADN sur ces îlots chez les 23 participants ;
- Après 6 mois d'exercice physique, une variation significative de la méthylation a été trouvée sur 18 000 sites correspondant à 7663 gènes uniques. Le plus souvent, il s'agissait d'une augmentation (de 0,2 à 10,9 %) de la méthylation de ces zones ;
- Les 39 gènes "candidats" (selon des recherches antérieures) pouvant être liés à l'obésité et au diabète de type 2 ont subi des modifications significatives de leur méthylation.

Ces modifications du génome du tissu adipeux humain ont d'ailleurs eu des conséquences cliniques bénéfiques : les investigateurs ont objectivé après 6 mois une diminution significative du tour de taille, du rapport tour de taille / hanches, mais aussi de la pression artérielle diastolique et de la fréquence cardiaque au repos, ainsi qu'une augmentation significative de la VO2max (consommation maximale d'oxygène) et du taux d'HDL.

Une découverte qui complète celles d'autres travaux scientifiques récents
Cette cartographie des changements épigénétiques de plus de 7 000 gènes du tissu adipeux liés à l'activité physique complète d'autres découvertes faites par l'équipe de Charlotte Ling, dont trois très succinctement résumées ci-dessous :
- une étude de Yang BT et coll, en 2011, a montré que la méthylation de l'ADN du promoteur du gène de l'insuline (situé dans les îlots du pancréas) est augmentée chez les patients atteints de diabète de type 2 et corrélée négativement avec l'expression du gène de l'insuline ;
- une autre étude de Yang BT et coll a montré en 2012 que l'hyperglycémie augmente la méthylation de l'ADN et diminue l'expression du gène PDX-1, suspecté de favoriser la survenue de certaines formes de diabète ;
- Une étude de Nitert MD et coll., publiée en 2012, a mis en évidence une diminution, après 6 mois d'exercice physique, de la méthylation de l'ADN de certains gènes des muscles squelettiques également impliqués dans le diabète.

En conclusion…
Ces quatre travaux, et d'autres cités, par exemple dans les références de l'étude sur le tissu adipeux, permettent de mieux comprendre aujourd'hui l'importance des phénomènes de régulation épigénétiques sur le métabolisme, influencés notamment par l'activité physique et susceptibles d'être impliqués dans le déclenchement, ou la prévention d'un diabète de type 2, d'une prise de poids massive, voire de troubles cardio-vasculaires.

Mais l'épigénétique est étudiée dans beaucoup d'autres domaines thérapeutiques. Notons par exemple un travail intéressant, paru début janvier dans Nature Biotechnology, qui a permis d'identifier 10 sites ADN dont la modification épigénétique pourrait majorer le risque de polyarthrite rhumatoïde...

L'avenir permettra-t-il de suivre les modifications épigénétiques individuelles d'un individu au cours du temps, afin d'adapter sa prévention, prise en charge ? Voire d'influer sur ces modifications, par exemple en déclenchant artificiellement des hypométhylations ou hyperméthylations protectrices ? Une étude publiée dans Cell Métabolism a par exemple montré que la caféine pouvait induire les mêmes changements épigénétiques sur certains gènes musculaires que l'exercice physique !

Mais bien sûr, tout ceci reste du domaine de la recherche fondamentale pour le moment, même si l'étude ayant servi de prétexte à ce focus sur l'épigétique, forcément parcellaire, donne pour la première fois une explication au niveau moléculaire des bienfaits métaboliques de l'activité physique… A suivre !

Sources et ressources complémentaires, par ordre de citation :
- "Un tour d'Europe de l'épigénétique : Vienne, Autriche", interview du Dr Denise Barlow, epigenome.eu
- "ADN et chromosome et épigenèse", ARTE via YouTube, octobre 2012
- "Epigenetics : the link between nature and nurture", Stephanie A. Tammen et coll., Molecular Aspects of Medicine, Volume 34, Issue 4, juillet-août 2013 (abstract + schémas, dont celui illustrant cet article)
- "Epigenetics Tutorial", New England Biolabs via YouTube, décembre 2011
- "Entretien avec Edith Heard : Nous sommes bien plus que nos gènes", Collège de France, février 2013
- Présentation de Charlotte Ling sur le site de l'Université Lund de Malmö
- "A Six Months Exercise Intervention Influences the Genome-wide DNA Methylation Pattern in Human Adipose Tissue", Tina Rönn, Charlotte Ling et coll., PLOS Genetics, juin 2013
- "Insulin promoter DNA methylation correlates negatively with insulin gene expression and positively with HbA1c levels in human pancreatic islets", Beatrice T. Yang, Charlotte Ling et coll., Diabetologia, février 2011
- "Increased DNA Methylation and Decreased Expression of PDX-1 in Pancreatic Islets from Patients with Type 2 Diabetes", Beatrice T. Yang, Charlotte Ling et coll., Molecular Endocrinology, 1er juillet 2012
- "Impact of an Exercise Intervention on DNA Methylation in Skeletal Muscle From First-Degree Relatives of Patients With Type 2 Diabetes", Marloes Dekker Nitert, Charlotte Ling et coll., Diabetes, décembre 2012
- "Epigenome-wide association data implicate DNA methylation as an intermediary of genetic risk in rheumatoid arthritis", Yun Liu et coll., Nature Biotechnology, janvier 2013
- "Acute Exercise Remodels Promoter Methylation in Human Skeletal Muscle", Romain Barrès et coll., Cell Metabolism, mars 2012

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