Angelina Jolie, ici avec Brad Pitt en 2007, a souligné l'importance du soutien de son compagnon dans cette difficile épreuve.
Une double mutation exposant à un surrisque majeur
Le Dr Kristi Funk (en photo ci-contre), du Pink Lotus Breast Center (Beverly Hills, Etats-Unis), rappelle tout d'abord que les femmes présentant une mutation des gènes BRCA1 (BReast CAncer) et BRCA2 "ont plus de 87 % de risques d'avoir, durant leur vie, un cancer du sein, et 54 % un cancer des ovaires". Un risque bien supérieur à celui de la population générale (12 % pour le cancer du sein, moins de 1 % pour celui des ovaires).
La mère d'Angelina Jolie ayant eu un cancer du sein et un cancer ovarien, tout comme sa grand-mère maternelle, un test génétique lui a été proposé.
Mise en place d'une surveillance étroite
Après la découverte de ces mutations, Angelina Jolie a bénéficié d'une surveillance standard de ses seins qui, rappelle le Dr Funk, doit être débutée à l'âge de 18 ans, ou 10 ans avant l'âge de découverte du cancer du sein chez le membre de la famille atteint le plus précocemment.
Ce plan de surveillance consiste par exemple à pratiquer un examen tous les 3 mois, en alternant imagerie (mammographie au premier mois, IRM au 7ème mois) et examen clinique des seins (mois 1 et 10). Les patientes sont encouragées à pratiquer, chaque mois, un auto-examen des seins.
En ce qui concerne le cancer de l'ovaire, la surveillance débute à l'âge de 35 ans, ou 10 ans avant l'âge de découverte d'un tel cancer chez un parent. La surveillance consiste à pratiquer tous les 6 mois une échographie transvaginale, une recherche du marqueur tumoral CA-125 (prise de sang) et un examen clinique local.
Le choix d'une double mastectomie, technique préventive la plus efficace actuellement
La découverte des deux mutations affectant les deux gènes précités a conduit l'actrice à opter, en sus de la surveillance ci-dessus, pour une mastectomie bilatérale préventive, moyen actuellement le plus efficace pour diminuer drastiquement le risque.
En effet, selon une étude parue en 2008 dans l'International Journal of Cancer, cette intervention préventive diminuerait d'environ 95 % le risque de survenue d'un cancer du sein, tandis que l'ablation des ovaires, appelée oophorectomie, ne le diminuerait que de 50 %, tout comme la prise préventive de Tamoxifène.
Néanmoins il s'agit d'une décision difficile à prendre, ne serait-ce qu'en raison des risques de complications (rupture possible d'implants, infections post-opératoires, pertes de sensibilité, etc.) et de possible atteinte de l'image de soi.
Plusieurs options chirurgicales se sont présentées
Le Dr Funk souligne sur le site de sa clinique que les patientes doivent se poser plusieurs questions importantes avant l'opération : faut-il préserver mes seins, ce qui est conseillé ? Si oui, dois-je opter pour la technique du "nipple delay", qui permet de maximiser les chances de préservation du mamelon ? Où l'incision doit-elle être réalisée ? Faut-il analyser les ganglions sentinelles, alors que cela expose à un risque supplémentaire de complications (douleur, lymphoedème du bras) ? Quelle sorte de reconstruction choisir ?
Angelina Jolie a choisi de préserver ses seins (ablation de la glande mammaire, mais préservation de la peau) et a opté pour un "nipple delay".
Une première étape chirurgicale préparatoire pour optimiser les chances de maintien du mamelon
Le "nipple delay", réalisé au Pink Lotus Breast Center le 2 février 2013, consiste à pratiquer tout d'abord une incision à l'endroit choisi pour la mastectomie. Le choix du lieu de l'incision dépend du contexte : forme des seins, désir ou non de réduction mammaire, présence d'incisions antérieures, compétences du chirurgien. Dans le cas d'Angelina Jolie, le choix lui a été donné entre deux possibilités : elle a opté pour une incision sous le sein, dans le sillon sous-mammaire, plutôt qu'autour du mamelon.
Après la réalisation de l'incision, la moitié de la peau de chaque sein a été soulevée, détachée du reste des tissus mammaires. Une portion des tissus situés derrière le mamelon et l'aréole a été prélevée pour être analysée, afin d'exclure la présence d'un cancer affleurant. Cette biopsie a entraîné un afflux sanguin dans cette zone, ce qui a provoqué "beaucoup de douleurs et contusions", comme l'a souligné Angelina Jolie dans sa touchante lettre publiée dans le New York Times. Mais cet afflux de sang est justement le phénomène physiologique recherché pour diminuer les risques de nécrose du mamelon après la mastectomie.
Le "nipple delay" n'est pas une technique habituellement utilisée, mais elle peut être proposée chez les femmes ayant subi précédemment une ou plusieurs intervention(s) mammaire(s) qui aurai(en)t déjà pu fragiliser le mamelon...
Mastectomie avec marquage des ganglions sentinelles
Le 16 février, la mastectomie en tant que telle a été pratiquée, en utilisant la même incision que celle effectuée pour le "nipple delay".
En ce qui concerne l'ablation des ganglions sentinelles, une technique intermédiaire et innovante, appelée PBDI (Prophylactic Breast Dye Injection), a été utilisée : le Dr Funk a injecté un colorant bleu qui a permis de les identifier sans les ôter.
C'est seulement si l'examen anatomo-pathologique des glandes mammaires enlevées montre la présence de cellules cancéreuses qu'une deuxième intervention est programmée pour un curage ganglionnaire. Ce qui n'a pas été le cas d'Angelina Jolie.
Mise en place d'"expanseurs tissulaires"
Selon le Dr Krista Funk, la morphologie d'Angelina Jolie se prête plutôt à une allogreffe (mise en place d'implants mammaires) plutôt qu'à une reconstruction du sein avec ses propres tissus (autogreffe de graisse, muscles, peau).
Dans le même temps chirurgical, des "expanseurs tissulaires" ont tout d'abord été mis en place, afin de préparer les seins à la mise en place d'un implant définitif. Ces expanseurs sont des sortes d'implants dégonflés qui sont placés par le chirurgien derrière les muscles pectoraux gauche et droit.
Ils sont ensuite gonflés progressivement avec une solution saline pendant 2 à 3 mois, jusqu'à ce que le volume choisi soit atteint (le médecin peut y accéder en insérant une aiguille à travers la peau jusqu'à la valve, cf. schéma ci-contre).
En tout, "l'opération peut prendre jusqu'à 8 heures. Vous vous réveillez avec des drains et des expanseurs dans vos seins. On se sent comme dans une scène d'un film de science-fiction", témoigne Angelina Jolie dans sa lettre.
Reconstruction finale des seins
Dès le 17 février, une première injection de solution saline a été réalisée. Neuf jours après l'opération, les 6 drains avaient tous été enlevés. Le 4 mars, un second remplissage de solution saline a été effectué, tandis qu'Angelina Jolie reprenait le travail.
Le 27 avril, 10 semaines après la mastectomie, l'actrice a donc été réopérée : ses expanseurs ont été remplacés par des implants, et "l'opération s'est très bien passée, mettant un terme à son périple chirurgical", conclue le Dr Funk.
Prendre en main son destin grâce à la génétique ?
Angelina Jolie avait de lourds antécédents familiaux et une prédisposition génétique majeure qui l'ont décidée à choisir une ablation préventive certes lourde, radicale et risquée, mais qui minimise grandement, sans l'annuler, le risque de cancer.
L'actrice a de plus pu bénéficier de techniques particulières et probablement coûteuses afin de maximiser les chances de préserver ses mamelons et d'optimiser le rendu esthétique final. D'autres patientes optent pour la mise en place d'implants définitifs, et non d'expanseurs, lors de la mastectomie, ce qui évite une nouvelle intervention et allège donc la procédure. D'autres reculeront devant la lourdeur de ces interventions et s'en tiendront à la surveillance rapprochée décrite précedemment...
Il est étonnant de voir à quel point les Américains célèbres s'expriment publiquement sur leurs problèmes de santé. Angelina Jolie est un sex-symbol, mais aussi une femme engagée, passionnée, qui a voulu, à travers la médiatisation de son lourd parcours chirurgical, sensibiliser les femmes ayant des cancers dans leur famille à prendre les devants : "j'ai choisi de ne pas garder mon histoire privée car il ya beaucoup de femmes qui ne savent pas qu'elles vivent peut-être dans l'ombre du cancer. J'espère qu'elles aussi pourront bénéficier d'un dépistage génétique et, si elles ont un risque élevé, qu'elles aussi sauront qu'elles peuvent faire des choix forts", explique l'actrice, pour qui "les défis qui ne doivent pas nous faire peur sont ceux que nous pouvons contrôler".
Mais faut-il tout anticiper, tout contrôler, au risque de se sur-angoisser en permanence, ou d'échouer ? Au-delà de ce cas, cela pose la question de l'accès de plus en plus facile au séquençage génomique, dont le coût diminue très rapidement (voir notre article sur l'avis du CCNE sur le dépistage anténatal de la trisomie 21). Comment le corps médical pourra-t-il gérer toutes ces prédispositions ? Quel encadrement éthique prévoir pour la délivrance, partielle ou complète, des résultats, pour leur interprétation et les propositions éventuelles d'actions préventives ?
En savoir plus :
A Patient's Journey: Angelina Jolie, Dr. Kristi Funk, Pink Lotus Breast Center, 14 mai 2013
Prophylactic Breast Dye Injection (PBDI): An Innovative Idea from the Pink Lotus Breast Center, Pink Lotus Breast Center, 6 mars 2013
My Medical Choice, Angelina Jolie, New York Times, 14 mai 2013
International variation in rates of uptake of preventive options in BRCA1 and BRCA2 mutation carriers, International Journal of Cancer, mai 2008
La photo d'Angelina Jolie et de Brad Pitt a été prise au Festival du cinéma américain de Deauville en 2007 (via Wikipedia)
L'illustration des expanseurs tissulaires est une adaptation des photos et dessins de ce blog
Sources
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