La cigarette électronique pourrait bientôt faire partie des outils médicaux reconnus pour le sevrage tabagique (illustration).
Consultation du HCSP sur le rapport bénéfices-risques de la cigarette électronique dans le cadre de l'addiction au tabac
Sur demande de la DGS (Direction générale de la Santé) et de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDEC, le HCSP (Haut Conseil de la Santé publique) a actualisé son avis émis le 25 avril 2014 relatif aux bénéfices-risques de la cigarette électronique étendus en population générale. Laa version actualisée a été mise en ligne le 24 février 2016.
La consultation du HCSP portait sur 2 points principaux :
- l'intérêt de la cigarette électronique pour le sevrage tabagique ou la réduction de la consommation de tabac ;
- le risque d'initiation nicotinique des non fumeurs par le biais de la cigarette électronique, et le risque de renormalisation du comportement tabagique.
Une clarification nécessaire de l'intérêt de la cigarette électronique face aux usages et intérêts des professionnels
Sur le terrain, la cigarette électronique semble bénéficier d'un accueil de plus en plus favorable parmi les professionnels de santé et dans la population des fumeurs. Tous demandent de clarifier le statut de ce produit en tant qu'outil de sevrage tabagique pouvant être intégrer ou non dans le Programme national de réduction du tabagisme.
Les données du baromètre santé 2014 montrent que l'adoption de la cigarette électronique s'étend, dans un contexte de stabilisation de la prévalence tabagique.
En 2014, 1 Français sur 4 (âge compris entre 15 et 75 ans) déclare avoir déjà essayé la e-cigarette. Dans la population des fumeurs, ce taux passe à 57,8 %. Le comportement de vapofumeur (fumeur et vapoteur) reste le plus répandu, et 75 % des utilisateurs de e-cigarette sont des fumeurs réguliers.
En 2014, une revue Cochrane et les données du Baromètre Santé suggèrent une réduction du tabagisme et de ses risques
Depuis le premier avis du HCSP, la littérature scientifique relative à l'utilisation de la cigarette électronique s'est étoffée.
En 2014, une méta-analyse publiée dans la revue Addiction concluait à la moindre nocivité de la cigarette électronique en comparaison à la cigarette traditionnelle (voir notre article du 6 août 2014).
En 2014 également, une revue Cochrane (McRobbie et al.) a été effectuée et conclut que "des preuves issues de deux essais suggèrent que, par rapport aux cigarettes électroniques placebo, les cigarettes électroniques [nicotinées] aident les fumeurs à arrêter de fumer à long terme". De même, les études semblent montrer un bénéfice supérieur de la cigarette électronique versus patchs pour diminuer la consommation de tabac.
C'est aussi ce que semblent confirmer les données du Baromètre santé 2014 (Andler 2015). selon lesquelles 82 % des vapofumeurs déclarent fumer moins depuis qu'ils utilisent la e-cigarette (diminution moyenne déclarée de 8,9 cigarettes par jour).
Plus récemment, en 2015, un rapport britannique (Public Health England, 2015) très médiatisé a conclu à l'intérêt de la e-cigarette dans le sevrage tabagique, mais aussi dans la réduction des risques du tabagisme.
A l'inverse, des publications appellent à la prudence, notamment du fait de la méconnaissance des risques liés aux e-liquides (rapport norvégiens, NIPH 2015, très contestés en dehors de ce pays).
Efficacité de la e-cigarette dans le sevrage tabagique : une démonstration encore fragile, selon le HCSP
Dans son dernier avis, bien que les nouvelles données encourageantes se multiplient (cf. ci-dessus), le HCSP pointe du doigt des résultats ambigus et un manque d'études randomisées solides. Les résultats contradictoires, montrant la supériorité de la e-cigarette nicotinée versus placebo pour l'arrêt du tabac comme son contraire, rendent difficile une prise de position nette.
De nombreux critères devraient être pris en compte pour une évaluation convenable de l'efficacité de la cigarette électronique, qu'il s'agisse de critères liés au dispositif même (le type de dispositif utilisé, le dosage en nicotine et les arômes utilisés) ou liés au fumeur (degré de motivation).
De même, le HCSP estime que les travaux scientifiques menés pour comparer la cigarette électronique nicotinée aux substituts nicotiniques (patchs) ne permettent pas de conclure à la supériorité de l'un ou de l'autre dans l'abstinence nicotinique.
Selon le HCSP, "en diminuant la dose de tabac consommé, la cigarette électronique peut cependant être considérée comme un outil de réduction des risques, au moins à court terme."
Le risque de cancer pourrait notamment être réduit du fait d'une moindre nocivité des e-liquides par rapport au tabac, même si beaucoup d'inconnues persistent sur le profil de sécurité de ces produits.
La e-cigarette, une porte d'entrée dans le tabagisme ?
Autre interrogation exprimée par les tabacologues depuis l'apparition de ces dispositifs sur le marché : conduisent-ils les non fumeurs au tabagisme ? Le HCSP estime que oui, la cigarette électronique pourrait constituer une porte d'entrée dans le tabagisme.
La réponse reste cependant nuancée et repose sur un modèle théorique (phénomène de "gateway"). Pour le HCSP, "ce modèle n'est toutefois pas adapté au cheminement cigarette électronique-tabac".
Le potentiel additif élevé des cigarettes électroniques exposerait à ce risque mais c'est également le profil des individus qui doit être pris en compte pour évaluer la balance bénéfice-risque de ce dispositif. "A ce jour, aucune étude ne permet de répondre formellement à cette question", conclut le HCSP.
Crainte du HCSP d'un phénomène de normalisation du tabac induit par l'utilisation de la e-cigarette
Engagée depuis plusieurs années et portée par des associations, la démarche de dénormalisation du tabac dans notre société vise à lutter contre la banalisation de ce comportement.
L'utilisation de la cigarette électronique pourrait induire une "renormalisation de la consommation de tabac compte tenu de l'image positive véhiculée par son marketing et sa visibilité dans les espaces publics", s'inquiète le HCSP.
Etendre l'interdiction du vapotage à tous les lieux publics "affectés à un usage collectif"
Le HCSP s'appuie sur cette préoccupation pour renforcer sa position sur le maintien de l'interdiction de publicité relative à ces produits.
Le HCSP souhaite également que l'interdiction de l'utilisation de la e-cigarette dans certains lieux publics soit non seulement entérinée, mais aussi étendue à tous les lieux affectés à un usage collectif (lieux publics fermés, incluant les bars et restaurants donc). Il justifie cette position qui risque de marginaliser l'usage (aux détriments de la cigarette ?) par le fait que "le premier argument marketing est le nombre de consommateurs visibles en plus de la cigarette en tant que support de communication".
Renforcer la sécurité et l'encadrement médical, lancer de nouvelles études, clarifier le statut
Pour le HCSP, la cigarette électronique peut tout de même être considérée comme une aide pour arrêter ou réduire la consommation de tabac des fumeurs. Néanmoins, ce message doit être véhiculé avec la plus grande prudence, en évitant une instrumentalisation marketing par les industriels fabricants ces cigarettes.
Le HCSP recommande d'informer, sans en faire publicité, les professionnels de santé et les fumeurs que la cigarette électronique est une aide à l'arrêt du tabac et un mode de réduction des risques du tabac en usage exclusif.
Il invite par ailleurs :
- au renforcement du dispositif observationnel du tabagisme,
- à la réalisation d'études épidémiologiques et cliniques robustes sur la cigarette électronique,
- ainsi qu'au lancement de recherches en sciences humaines et sociales sur cette question.
Un autre point essentiel est soulevé par le HCSP, celui du statut de la cigarette électronique. Ce dernier reste flou et mérite d'être clarifié, d'autant plus que la cigarette électronique est "entré dans la panoplie d'outils de sevrage tabagique" et pour cela, pourrait être considéré comme un médicament.
Quoiqu'il en soit, il apparaît indispensable de renforcer la qualité de ces produits (la cigarette électronique et les e-liquides), par la démarche de labellisation (assortie de contrôles) et de marquage afin de garantir la sécurité des utilisateurs.
Le HCSP émet la piste de la cigarette électronique "médicalisée", qui pourrait ainsi bénéficier d'une prescription médicale, d'une prise en charge au même titre que les substituts nicotiniques et d'un circuit de distribution performant à l'officine, comme pour les médicaments.
En synthèse
D'un côté, le HCSP reconnaît l'intérêt potentiel de la cigarette électronique pour lutter contre l'addiction au tabac, qui continue à faire des dizaines de milliers de morts chaque année en France malgré les mesures de prévention et de dissuasion.
De l'autre côté, l'HCSP s'inquiète d'une possible banalisation de ce dispositif sans combustion, voire d'un encouragement secondaire au tabagisme, et appelle donc à renforcer son encadrement.
Cet appel au renforcement de l'interdiction du vapotage dans les lieux publics sera-t-il suivi par le ministère, au moment de la publication des décrets de la loi de santé sur l'interdiction de vapotage dans les lieux publics ?
Pour aller plus loin
Communiqué : Bénéfices-risques de la cigarette électronique pour la population générale (HCSP, 24 février 2016)
Avis du 22 février 2016 relatif aux bénéfices-risques de la cigarette électronique ou e-cigarette étendus en population générale (HCSP, mis en ligne le 24 février 2016)
Avis du 23 avril 2014 relatif aux bénéfices-risques de la cigarette électronique ou e-cigarette étendus en population générale (HCSP, mis en ligne le 31 mai 2014)
Sur Vidal.fr
Etudes sur la cigarette électronique : faible nocivité par rapport au tabac, résultats prometteurs dans le sevrage (6 août 2014)
Cigarette électronique et sevrage tabagique : une publication sème le trouble... (mars 2014)
Sevrage tabagique : la Haute Autorité de Santé propose des outils et de nouvelles recommandations (janvier 2014)
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