Les Etats Généraux du Rein, "l’un des plus beaux exemples de démocratie sanitaire" en France, selon Marisol Touraine (illustration).
Une enquête, des réflexions et dialogues transversaux pour optimiser la prise en charge des maladies rénales
Yvanie Caillé (en photo ci-contre) est atteinte d'une maladie rénale chronique depuis l'enfance et a dû être greffée en 2002. La même année, ne trouvant pas d'informations suffisamment fiables et complètes sur ce sujet sur internet, Yvanie Caillé a créé Renaloo, espace internet d'informations et de discussion autour des maladies rénales.
C'est Renaloo, transformé depuis en association, qui a initié les Etats Généraux du Rein.
Les EGR ont réuni, de mars 2012 à mi-juin 2013, des patients, associations de patients, professionnels de santé, établissements et institutions, avec le soutien de partenaires industriels, institutionnels, associations, fondations et organisations professionnelles. 11 tables rondes d'une journée ayant réuni 440 participants ont été notament effectuées (vidéos).
Une enquête a également été réalisée auprès de 9000 patients pour "libérer leur parole en leur tendant un porte-voix". Elle a été effectuée pendant 6 mois, en 2012, par questionnaires papier, acheminés notamment par les associations de patients et les fédérations hospitalières, et internet. Le questionnaire comportait une question ouverte, sur la qualité de la prise en charge, ayant donné lieu à 400 pages de témoignages (détails, résultats et témoignages sur le rapport final des EGR, pages 21 à 49).
L'objectif de ces rencontres et enquêtes était de trouver des moyens d'amélioration de la prise en charge et de la vie des personnes concernées par les maladies rénales, la dialyse, la greffe, en donnant largement la parole aux patients. 5 axes d'actions prioritaires centrés sur l'amélioration de la prise en charge des patients atteints d'insuffisance rénale chronique ont émergé (propositions d'actions résumées dans leurs grandes lignes ci-dessous, mais téléchargeables sur le site Renaloo en cliquant ici).
Axe 1 : Orientation, information, accompagnement
Les participants aux tables rondes et patients interrogés lors de l'enquête ont constaté que l'annonce de la pathologie rénale et la mise en place ou la modification de traitements de suppléance rénale (greffe ou dialyse) pouvaient être largement améliorés, ainsi que l'information délivrée. L'accompagnement nécessaire lors d'une telle annonce n'est pas non plus suffisant (constat partagé malheureusement avec d'autres pathologies graves, chroniques ou non).
De même, les techniques de suppléance ne sont pas assez expliquées aux patients, ce qui les empêche d'exercer leur choix librement. Enfin, la dialyse est d'une qualité inégale en fonction de ses modalités, des régions et des professionnels.
Pour remédier à ces carences, les propositions des EGR comportent :
- un dispositif formalisé d'annonce, d'information et d'accompagnement. Cette formalisation doit permettre aux patients d'être mieux informés, d'avoir une "réelle possibilité d'exercer un choix libre et éclairé" et d'être mieux accompagnés dans ces moments difficiles ;
- des "dispositifs d'orientation pluriprofessionnels et pluridisciplinaires (DOPP)"pour préparer l'orientation des patients vers telle ou telle prise en charge. Ces rencontres pluridisciplinaires, physiques ou par visioconférence, pourront inclure des néphrologues , urologues, infirmières, assistantes sociales, diététiciennes, psychologues, et le médecin traitant s'il le souhaite (et le peut…). Elles auront pour objectif de discuter des différentes possibilités, des contre-indications, impacts sur l'autonomie, de la qualité de vie, etc. afin que le patient puisse exercer son libre choix (décision partagée).
- un renforcement de la qualité des dialyses, en accentuant par exemple les formations, initiale et continue, des néphrologues et paramédicaux, en assurant une même qualité de traitement en dialyse autonome (versus dialyse en centre), ou encore en mettant en place des mesures d'accompagnement souples, adaptées au contexte, éventuellement en s'aidant des nouvelles technologies (télésurveillance par exemple).
Ces dispositifs devront être régulièrement évalués et s'adapter en fonction des besoins des patients, évolutifs au cours de la maladie.
Axe 2 : Priorité à la greffe, qui doit devenir à terme le traitement de 1ère intention
La greffe de rein, dont a bénéficié Yvanie Caillé, est "reconnue comme le meilleur traitement de l'insuffisance rénale terminale (IRT) pour les patients qui peuvent en bénéficier".
Pour parvenir à l'objectif, ambitieux, de 55 % de patients en IRT greffés en 2020, les EGR préconisent :
- une homogénéisation des pratiques en s'alignant sur les meilleures : accès à la liste d'attente et à la greffe, greffe prioritaire des patients « à risque », harmonisation des critères d'inscription, établissement de recommandations sur les indications et contre-indications de la greffe rénale, etc. ;
- une amélioration de l'organisation du prélèvement et de la greffe, qui "doit devenir dans les faits une priorité et une urgence réelle pour les établissements". Des objectifs et moyens pourront être définis par les Agences Régionales de Santé en fonction des besoins locaux ;
- une amélioration de l'équité et de la transparence de la répartition des greffons, en "levant la sanctuarisation du rein local" et en formant les différentes équipes à mettre en place toutes les stratégies de lutte contre la pénurie. Un score unique devrait être mis en place sur tout le territoire, et les représentants des patients devraient être informés des critères de choix et d'attribution ;
- un développement de la greffe de donneur vivant (via une volonté politique et institutionnelle forte, des campagnes de sensibilisation, la mise en place de chaînes de don, d'une charte des donneurs vivants, etc.), et du prélèvement sur donneurs décédés en état de mort encéphalique ou après arrêt cardiaque.
Axe 3 : Parcours de soins, parcours de vie
Défaut d'orientation vers le traitement le plus efficace (la greffe), arrivée en dialyse souvent en urgence, lieux de décision éclatés, discontinuités, etc. Autant d'écueils qui grèvent la qualité de la prise en charge des patients insuffisants chroniques rénaux.
Comment y remédier ? Les EGR proposent notamment :
- un état des lieux "sous l'égide de la HAS", à l'instar de ce qui a été fait pour le VIH (rapport Yéni) ;
- une globalisation du financement de cette prise en charge particulière, aujourd'hui centrée sur l'acte et le séjour, via la gestion d'une enveloppe dédiée par les ARS ;
- la mise en place d'une "organisation nationale dédiée au Rein", comme il existe, par exemple, un Institut National du Cancer (INCA). Cela permettrait une vision globale, depuis l'épidémiologie jusqu'aux traitements de suppléance, en passant par la prévention, le dépistage précoce, etc.
Axe 4 : Prévenir, ralentir la progression, améliorer les connaissances
30 % des patients démarrent la dialyse en urgence ! De plus, de nombreuses inégalités sociales et territoriales nivellent la prise en charge.
Les EGR proposent par exemple de :
- renforcer la prévention et le dépistage des maladies rénales ;
- améliorer l'application du Guide du parcours de soins dans la maladie rénale chronique de l'adulte de l'HAS ;
- majorer la recherche sur les causes et moyens préventifs de la maladie rénale chronique ;
- donner accès aux parties prenantes aux données de l'assurance Maladie sur les coûts et les actes (données du Sniiram), ainsi qu'à celles du Réseau Epidemiologie et Information en Nephrologie (REIN) et de l'étude CKD-REIN (Chronic Kidney Disease - Réseau Epidemiologie et Information en Nephrologie).
Axe 5 : améliorer la vie des malades
Depuis l'émergence des forums patients, sur les sites associatifs comme Renaloo ou sur d'autres sites privés et réseaux sociaux, les personnes atteintes de maladies chroniques, rénales ou non, s'échangent des conseils, astuces, se soutiennent, s'encouragent, mais déplorent aussi le manque de prise en charge globale, d'explications, d'écoute de leurs besoins. Ils s'inquiètent également sur la qualité et la sécurité de leurs soins, se plaignent parfois de la façon dont ils sont traités dans certains services ou centres, etc.
Sensibiliser tous les néphrologues à ces souhaits, qui ont également émergé des EGR, intégrer dans la formation des soignants le "care", l'empathie dans le soin, la décision partagée avec les patients pourrait améliorer la situation,, tout comme le développement d'une culture de la bientraitance dans les services.
La prise en charge de la douleur, le soutien scolaire et la mise au point de dispositifs médicaux pour les jeunes patients, l'amélioration du confort en dialyse et des transports sanitaires, la généralisation de l'accès à un soutien psychologique, la multiplication des programmes d'éducation thérapeutique ou encore le recours à des patients experts et, plus largement, le renforcement de la démocratie sanitaire, font également partie des pistes évoquées lors des EGR pour améliorer la situation.
Les engagements de Marisol Touraine
Ces propositions, beaucoup plus détaillées sur le site Renaloo et les documents en lien, ont été restituées lors d'un colloque de clôture des EGR au Ministère de la santé le 17 juin.
Dans son intervention, Marisol Touraine, ministre de la santé et des affaires sociales, a tout d'abord souligné que les EGR, mutidisciplinaires et incluant patients et associations de patients, étaient "sans doute l'un des plus beaux exemples de démocratie sanitaire réalisés dans notre pays".
Marisol Touraine s'est ensuite engagée à :
- inclure la logique de parcours de soins proposée par les EGR (axe 3) dans la prochaine stratégie nationale de santé, sur laquelle travaillent en ce moment plusieurs experts avant le déploiement de nouvelles mesures. Cela devrait permettre de lutter contre les inégalités, sociales ou territoriales ;
- "donner un nouvel élan à la démocratie sanitaire" : les ARS vont "renforcer la place des usagers dans nos politiques de santé", des débats publics permettront de recueillir les attentes et les besoins des citoyens ;
- "mieux associer les patients, à tous les niveaux" (au moment de l'annonce de la maladie, pour prendre en compte leur qualité de vie, etc.), afin qu'ils soient mieux informés pour faire un choix éclairé.
Au-delà de cet engagement à prendre en compte certaines propositions des EGR et à faire expertiser les autres, Marisol Touraine a également souhaité que les Etats Généraux du Rein se poursuivent, "pour progresser encore sur ce sujet majeur de santé publique".
Sources et ressources complémentaires :
- "Les Propositions des États Généraux du Rein", juin 2013
- "Rapport des Etats Généraux du Rein", juin 20123
- "Les Etats généraux du rein", sur le site de l'association Renaloo, avec notamment les synthèses des 11 tables rondes (vidéos sur YouTube) et le rapport final des EGR (fichier PDF)
- "Guide du parcours de soins dans la maladie rénale chronique de l'adulte", HAS, février 2012
- "Le SNIIRAM et les bases de données de l'Assurance Maladie en 2011", Dominique POLTON, Philippe Ricordeau, CNAMTS, 30 mars 2011
- "Réseau Epidemiologie et Information en Nephrologie (REIN)", sur le site de l'agence de la biomédecine
- "CKD-REIN (Chronic Kidney Disease - Réseau Epidemiologie et Information en Nephrologie)", sur le site de l'Inserm
- "Colloque de clôture des Etats Généraux du Rein. Intervention de Marisol Touraine", sur le site du ministère de la santé, 17 juin 2013
- VIDAL Recos : "Insuffisance rénale chronique"
Sources
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