#Santé publique

Rapport sénatorial : comment lutter contre les dérives thérapeutiques et sectaires ?

La Commission d'enquête sénatoriale sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé a procédé pendant 6 mois à des auditions sur les thérapies complémentaires : thérapeutes, mais aussi médecins, patients, associations, représentants des sites internet santé, grandes administrations et institutions de santé.

Les analyses et préconisations de cette Commission, présidée par Alain Million (sénateur de l’UMP), ont fait l’objet d’un volumineux rapport, écrit par Jacques Mézard (sénateur du Parti radical de gauche), rapporteur de cette Commission, et remis le 3 avril à Jean-Pierre Bel, président socialiste du Sénat.
12 avril 2013 Image d'une montre9 minutes icon Ajouter un commentaire
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Réunion constitutive de la Commission d'enquête sénatoriale, 10 octobre 2012, © Photo Sénat/Gérard Butet/DR.

Réunion constitutive de la Commission d'enquête sénatoriale, 10 octobre 2012, © Photo Sénat/Gérard Butet/DR.


Jacques Mézard rappelle en préambule que la médecine d'aujourd'hui doit être un "espace de rationalité dont devraient être bannies les pratiques magiques et où la recherche du résultat devrait l'emporter sur l'entretien d'espérances factices et sur la création de chimères".
 
Or, selon la Commission d'enquête sénatoriale, cet "espace de rationalité" serait aujourd'hui menacé par l'existence de pratiques de soins "étranges, parfois même carrément farfelues", qui peuvent allier charlatanisme et emprise sectaire. Mais les auteurs soulignent que ces "officines de soins étranges" reposent sur des formations non reconnues et ont depuis quelques années une visibilité accrue, qui tient pour beaucoup à leur présence soutenue sur Internet.
 
Des auditions aux frontières de la santé… et de la raison
Lors de ses 72 auditions, dont une partie ont été ouvertes au public et 20 ont été filmées puis mises en ligne sur le site du Sénat, la Commission a pu constater, par exemple, que certaines de ces pratiques sont présentées comme millénaires et venues d'Asie. D'autres sont inspirées des prétendus enseignements de la physique quantique, reposant parfois sur des techniques psychologisantes souvent fantaisistes.

Ce qui a amené la Commission à s'interroger... et à s'alarmer : "où s'arrête le charlatan - voire l'escroc - et où commence le gourou ? Pour les clients dupés, le comportement du charlatan est-il comparable à celui du gourou pour ses adeptes ?"

Des thérapies complémentaires appelées à tort "médecine"
Tout comme l'Académie de médecine, qui a rendu public en mars 2013 un rapport sur les soins alternatifs prodigués à l'hôpital, la Commission présidée par Alain Million préconise de ne pas considérer les "médecines traditionnelles" et autres "médecines alternatives" comme une "médecine", mais comme des "thérapies complémentaires".

Des thérapies que les utilisateurs jugent efficaces, sûres et ne comportant pas les risques de la médecine traditionnelle
Les membres de la Commission ont relevé plusieurs explications possibles au succès de ces thérapies complémentaires :
- elles sont jugées efficaces pour les petites pathologies par ceux qui les utilisent et qui "veulent prendre en main leur santé" ;
- elles sont considérées par de nombreuses personnes qui y recourent comme dépourvues d'effets secondaires : cette impression est peut-être liée au fait qu'elles sont souvent qualifées de "naturelles", ce qui "entretient l'illusion que le risque est nul" ;
- le climat délétère actuel favoriserait également l'utilisation de ces thérapies : "les crises sanitaires et les différentes affaires liées aux médicaments et aux sur-irradiations ainsi, il faut le souligner, que les rumeurs propagées sur les vaccins, ont nui à la crédibilité de la médecine et de l'allopathie en particulier dans des proportions qui demeurent toutefois à mesurer", s'inquiète la Commission. "La cacophonie est aujourd'hui immense", a regretté Isabelle Adenot, présidente de l'Ordre national des pharmaciens lors de son audition ;
- un manque d'écoute fréquemment ressenti : manque de temps des médecins, déshumanisation des établissements hospitaliers, manque d'information, prise en compte insuffisante ou absente du bien-être, place grandissante des examens aux détriments de l'entretien avec médecin, protocoles basés sur des statistiques et non sur le facteur humain, etc. Autant de griefs, également relevés lors des auditions, qui pourraient expliquer le succès de nombreuses thérapies complémentaires où l'écoute est centrale (homéopathie, acupuncture, etc.) ;
- la nécessité de faire face à la maladie et aux effets secondaires des traitements, particulièrement en cas de cancer.

Un succès fondé sur un malentendu qui pourrait exposer à des risques, parfois mortels…
Les utilisateurs peuvent (parfois ? souvent ?) être victimes de praticiens mal formés, ou prendre des produits sans en informer leur médecin. La Commission a relevé certains cas, probablement exceptionnels mais tout de même préoccupants : pneumothorax lié à une acupuncture mal faite en Norvège, paralysies suite à des manipulations, hémorragies  per-opératoires liées à une prise non mentionnée de gingko biloba, interactions de plantes avec une chimiothérapie anticancéreuses, etc.

Autre risque : selon une étude européenne d'A. Molassiotis et coll. (fichier PDF),  près de 4 % des patients atteints par une forme de cancer feraient le choix de recourir exclusivement à des pratiques non conventionnelles. "Si ce pourcentage était vérifié, cela signifierait que plus de 14 000 malades de cancer s'écarteraient chaque année en France délibérément de la médecine classique", déplore la Commission.

Mais remarquons qu'a contrario, cela signifie logiquement que 96 % des patients atteints d'un cancer utilisent ces thérapies en sus de leur traitement médical, dont la plupart n'exposent a priori pas à des dangers particuliers, du moins si ces thérapies ne s'accompagnent pas de la prise de produits interagissant négativement avec leur traitement médicamenteux ou présentant tout simplement des effets indésirables notables.

… malgré l'absence persistante de preuves scientifiques d'efficacité supérieure au placebo
Certaines de ces thérapies (acupuncture, homéopathie par exemple) ont fait l'objet d'études scientifiques qui ont montré une efficacité équivalente au placebo, et non supérieure : "598 études de la collaboration Cochrane portent sur les médecines complémentaires. C'est dire s'il existe une recherche sur ce sujet qui, je le répète, constitue un champ de ruines dont il ne reste rien ! Je veux bien qu'on s'acharne mais je n'y crois pas et n'y croirai pas davantage lorsque tout sera fini", s'est indigné le Pr Loïc Capron, président de la Commission médicale d'établissement de l'assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) lors de son audition.

Ces thérapies relèvent donc le plus souvent  du "croire" et non du "savoir" qui constitue le fondement de la médecine, résume le rapport sénatorial.

Là encore, remarquons, à l'instar de l'Académie de médecine en mars dernier, que l'utilisation de certaines de ces thérapies peut améliorer le vécu de la maladie : les bénéfices thérapeutiques de l'effet placebo sont démontrés (notamment par la neuro-imagerie), tout comme ceux de la relaxation, de la méditation ou encore de l'activité physique (liée par exemple à la pratique du yoga, du Tai chi, du QI gong, etc.).

L'encadrement médical ne suffit pas à rassurer la Commission d'enquête
Les thérapies complémentaires sont souvent mises en œuvre par des médecins ("mode d'exercice particulier", ou MEP, choisi par environ 11 000 médecins en 2012, contre seulement 5 374 en 1983). De même, certaines, comme l'hypnose ou l'acupuncture, ont fait leur entrée à l'hôpital public.

A l'AP-HP (Assistance Publique Hôpitaux de Paris), par exemple, les thérapies complémentaires utilisées, selon le rapport de la Commission sont : art-thérapie, aromathérapie, auriculothérapie, balnéothérapie, électrothérapie (TENS), EMDR (Eye Mouvement Desensitization and Reprocessing), homéopathie, luminothérapie, mésothérapie, musicothérapie, naturopathie, olfactothérapie, qi-gong, sophrologie, réflexologie plantaire, shiatsu, yoga et tai-chi.

Mais la Commission d'enquête "ne peut souscrire à l'idée que réserver l'exercice des pratiques non conventionnelles aux médecins serait une garantie de sécurité pour les patients", notamment en raison du manque d'évaluation scientifique. Et ce même si, comme l'a souligné Jean-Luc Harrousseau, président de la HAS lors de son audition, il ne peut être question de considérer que tous les médecins à exercice particulier sont déviants.

De plus, la Commission déplore que la plupart de ces thérapies complémentaires soient également mises en œuvre par des non-médecins. Ainsi, la Commission d'enquête s'inquiète du fait qu'une thérapie complémentaire encadrée initialement par un médecin , hospitalier ou non, pourra être poursuivie avec un praticien mal formé, éventuellement susceptible de dérives sectaires.

Des organismes formateurs trompeurs ?
La Commission relève que les organismes formateurs aux thérapies complémentaires utilisent parfois de manière abusive l'appellation "université", "collège".  D'une manière générale ces organismes constituent une "multitude de petites structures" très difficiles à contrôler. De plus, dans certains cas, des formations normalement réservées aux médecins sont délivrées à des non professionnels de santé, constituant alors des exercices potentiellement illégaux de la médecine.

Quant au Répertoire opérationnel des métiers et des emplois (ROME), il comporte des références à des "métiers" relevant de la pratique de thérapies non avérées : "maître praticien de reiki","conseiller en naturopathie", "intervenant en bioénergie", "intervenant en iridologie", etc.

Pour contrer l'effet potentiellement rassurant, voire validant de ces appellations, et pour guider l'utilisateur exposé à des publicités parfois trompeuses pour des formations pouvant s'avérer coûteuses ou illégales, la Commission préconise la création d'un "label de qualité" qui orientera, de plus, les financements publics sur la formation professionnelle.

Internet, amplificateur des dérives ?
"1 Français sur 2 a déjà utilisé internet pour rechercher ou partager des informations sur la santé", selon l'enquête TNS sofrès – Lauma  Communication de mars 2013. Les internautes recherchent de l'information sur une pathologie, un traitement, échangent des avis sur des forums ou réseaux sociaux (facebook, twitter notamment) au sujet de la médecine, mais aussi sur des méthodes de soins complémentaires ou alternatives (à la place du traitement conventionnel).

Le moteur de ces recherches santé, conventionnelles ou non, est la requête sur Google. Or, "les modalités d'indexation semblent avoir été bien comprises par les promoteurs de pratiques dangereuses pour la santé", s'alarme à nouveau la Commission. En effet, comme l'a indiqué M. Blisko, président de la Miviludes lors de son audition, "sur Internet, les sites les mieux référencés en matière de vaccination sont ceux de groupes antivaccinaux donnant les adresses de médecins délivrant des certificats de complaisance. Les accidents de la vaccination y sont mis en exergue, ses bienfaits, pourtant considérables, occultés".

A l'inverse, "il est regrettable que la faible quantité d'information objective proposée par les pouvoirs publics ne soit pas mieux indexée, et ne soit pas accessible en priorité sur l'écran", constate la Commission.

Un encadrement insuffisant des sites internet parlant des thérapies complémentaires ?
Du côté des sites santé privés, très fréquentés, la Commission constate que la modération des forums est souvent insuffisamment encadrée par des professionnels de santé.

Quant à la certification Hon-Code, elle valide des critères de bonne pratique éditoriale, mais la Commission constate qu'elle ne concerne pas le contenu du site, qui peut faire la part belle aux thérapies non validées, directement (discussions sur des forums) ou par l'intermédiaire de publicités parfois mensongères sur de fausses thérapies, comme l'ont constaté les membres de la Commission sur certains sites internet grand public.

Certes, comme pour toute recherche d'information, il faudrait encourager les internautes à croiser leurs sources, vérifier si possible les assertions sur telle ou telle poudre ou pilule miracle, etc. Une bonne utilisation de l'intelligence collective présente sur les espaces communautaires et tout simplement le bon sens se cultivent avec l'usage d'internet, usage qui est de plus en plus fréquent chez les citoyens français de tout âges.

Mais, même si l'internaute est armé d'un solide bon sens et d'une bonne expérience de la recherche de contenus sur internet, sociaux ou non, la Commission regrette qu'il ne lui soit, pour le moment, pas facile de trouver des sources fiables, officielles ou non, sur les thérapies complémentaires.

D'autres analyses et 41 propositions d'amélioration du système
Le rapport remis au Sénat fait plus de 300 pages, et comporte d'autres informations que celles résumées ci-dessus. Ces informations concernent notamment les moyens policiers et juridiques pour lutter contre les mouvements à tendance sectaire, comme la Scientologie, qui peuvent utiliser les problèmes de santé du grand public pour les attirer. Les nombreuses annexes montrent en particulier ce qu'est une "consultation d'iridologie", une "théorie médicale du New Age" ou encore une "thérapie quantique" avec un appareil "à champs magnétiques bio pulsés spécifiques"…

 
Il comporte également 41 propositions, que nous avons extraites dans le fichier ci-dessous :
 

   41 propositions du rapport sénat sectes et santé
 

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Ces propositions sont judiciaires (délit d'abus de faiblesse, formation des magistrats par exemple), policières (permettre les cyberinvestigations par les gendarmes sous pseudonyme par exemple) mais aussi scientifiques, organisationnelles (meilleur encadrement de la pratique non conventionnelle à l'hôpital, meilleure prise en compte du bien-être, formation labellisée, etc.).

Elles concernent aussi internet, puisqu'il est préconisé d'améliorer le label Hon-code, de lancer une campagne d'information auprès du grand public et de mieux référencer les informations officielles sur les pratiques thérapeutiques non conventionnelles, tout en les complétant.

En conclusion
Ces multiples auditions et recherches, sur internet comme sur le terrain, ont brossé un tableau qui peut être considéré comme inquiétant de l'usage trop souvent non contrôlé de thérapies complémentaires, parfois aussi utilisées comme alternatives aux traitements traditionnels.

La Commission propose de nombreuses pistes d'amélioration qui, couplées au bon sens des usagers, parviendront peut-être à endiguer les dérives constatées.

En savoir plus :
- "Rapport fait au nom de la commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé", remis à Monsieur le Président du Sénat le 3 avril 2013. Les verbatims des auditions ont été regroupés dans un deuxième volume accessible via cette page de senat.fr. Les vidéos des sessions filmées sont également sur senat.fr.
- "THÉRAPIES COMPLÉMENTAIRES - acupuncture, hypnose, ostéopathie, tai-chi - leur place parmi les ressources de soins" (fichier PDF), Daniel BONTOUX, Daniel COUTURIER, Charles-Joël MENKÈS, Académie nationale de médecine, 5 mars 2013
- "Use of complementary and alternative medicine in cancer patients: a European survey", A. Molassiotis et coll., Annals of oncology, avril 2005 (fichier PDF)
- "Le web renforce la relation médecin-patient et les ePatients sont plus nombreux !", Lauma Communication, 9 avril 2013
- Présentation de la certification HONcode sur hon.ch
Sources

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